Le grand écrivain arabe israélien, Emile Habibi, mort en 1996 à l’âge de 74 ans regrettait d’avoir privilégié le militantisme au PC à la littérature : « J’ai le sentiment d’avoir été un poirier qui se mettrait à produire des aubergines sous prétexte qu’il faut nourrir le pauvre peuple. Alors que les aubergines abondent mais qu’ici les poiriers sont rares. »
Quant à moi, J’ai la désagréable impression de ne même pas avoir produit des aubergines ! , d’avoir passé des heures ennuyeuses dans des réunions où je n’osais pas dire un mot, d’avoir lutté pour des causes perdues comme le socialisme, l’égalité, les atteintes aux droits de l’Homme…
Une exception cependant ; le MLF. J’ai osé m’exprimer (enfin pas toujours parce que les grandes gueules existent aussi chez les femmes) et nous avons fait reculer (un tout petit peu) le pouvoir patriarcal.
La situation misérable de la « gauche » en France, son impossibilité à inventer un programme, un plan de vol (pour reprendre les termes d’Edouard Philippe), d’assumer son réformisme tout en essayant de faire rêver à un système moins injuste, a mis un terme à mes espérances.
Il me reste une fierté : celle d’avoir été de celles et ceux qui ont dit NON : au colonialisme,au sexisme, au racisme, à l’antisémitisme, à l’arbitraire, aux injustices sociales…
Mais je mourrai sans comprendre que l’on puisse faire passer son ego avant l’union autour d’un programme ?
Arriverai-je à ne pas passer du peptimisme (Emile Habibi) au pessimisme ?
Il m’arrive aussi de me laisser aller à haïr, suivant en cela Emile Zola : « La haine est sainte. Elle est l’indignation des coeurs forts et puissants, le dédain militant de ceux que fâchent la médiocrité et la sottise…. La haine soulage, la haine fait justice, la haine grandit. » (Mes haines, 1866)
La haine n’est pas une solution.
Alors, je me console avec cette phrase d’Einstein : « Un problème sans solution est un problème mal posé. »
Il y a cinquante ans nous avions transgressé la loi pour être libres. Au nom de cette même liberté nous demandons maintenant une aide active à mourir
Nous avions entre vingt et quarante ans en 1971, quand le manifeste des 343 a été publié. Nous réclamions la liberté sexuelle et le droit à l’avortement. Peu importe que notre signature y figure ou pas.
Nous avons maintenant entre 70 et 90 ans et nous n’avons pas changé. Nous considérons toujours la liberté de choisir notre vie et donc notre fin de vie comme une liberté élémentaire.
Le 1er Novembre 2019, nous avons publié dans Libération un Manifeste : CHOISIR SA VIE, CHOISIR SA MORT : DES FEMMES PERSISTENT ET SIGNENT.
Deux cent femmes l’on signé dont certaines avaient signé le Manifeste des 343.
Non ce n’est pas triste : c’est le cours normal de nos vies.
Ce qui est plus que triste, tragique, c’est la déchéance, la dépendance, la souffrance…
Les médias commémorent le manifeste de 1971 mais font peu de cas des propositions de lois sur l’aide active à mourir.L’une d’entre elles présentée par Olivier Falorni doit être discutée à l’Assemblée nationale le 8 avril 2021.
On entend des voix s’élever contre le mauvais goût qu’il y aurait à discuter de ce problème an pleine pandémie! Quelle insupportable hypocrisie ! C’est précisément parce que des millions de gens dans le monde ont eu une fin de vie indigne qu’il est plus que jamais nécessaire de donner un cadre juridique cohérent à cette revendication majoritaire.
Il ne s’agit plus de créer des Comités Théodule pour discuter (de quoi?) mais de voter une loi cohérente qui permette aux personnes qui sont dans une souffrance physique ou psychique insupportable de quitter ce monde sans violence et entourés des gens qu’ils aiment.
En 1971, nous n’obligions personne à avorter.
En 2021, nous n’obligeons personne à demander une assistance au suicide.
De même que le principe de laïcité permet de respecter toutes les croyances y compris celle de ne pas croire en Dieu, une loi sur l’assistance au suicide rendrait la dernière étape de notre vie tellement plus heureuse.
PS : Je revendique le terme de « salopes », créé par Charlie-Hebdo, de même que le sketch de Guy Bedos et Sophie Daumier : « Toutes des salopes ». J’ai cru entendre certaines signataires se désolidariser de cette dénomination évidemment humoristique au nom du politiquement correct!!!
Choisir sa vie, choisir sa mort, des femmes persistent et signent II
A la suite des mises en examen de militants de l’Association Ultime Liberté, quatre féministes des années 70 (Régine Dhoquois,Jacqueline Feldman, Liliane Kandel et Annie Sugier), ont rédigé le texte qui suit.
Pour le moment, il n’a pas été publié.
Nous sommes dans un moment de l’histoire où des milliers de personnes sont mortes dans des conditions indignes à cause de la COVID, dans les EHPAD ou faute de soins appropriés. Un moment où le Portugal est le 6ième pays d’Europe à autoriser l’euthanasie ou le suicide assisté. En France, où l’opinion est massivement favorable à une telle loi, c’est la répression qui prime.
En effet, c’est dans ce moment que nous apprenons la mise en examen de douze membres de l’Association ULTIME LIBERTE pour avoir permis à des personnes malades ou très âgées de décider librement du moment où la vie ne leur serait plus supportable. Ils les auraient informées sur la manière de se procurer du phénobarbital, substance utilisée notamment en Suisse ou en Belgique pour des suicides assistés. Pour cela, ils risquent jusqu’à trois ans de prison et 45000 euros d’amende.
Certaines d’entre nous sont membres de cette association, d’autres non, mais nous militons toutes pour une fin de vie digne, sans souffrances inutiles et sans dépendance.
L’ADMD et LE CHOIX ont choisi de se battre pour une nouvelle loi. Les militants d’ULTIME LIBERTE ont voulu aller plus loin et souhaité aider concrètement des personnes qui ne désirent pas continuer à vivre dans des conditions inhumaines.
Pour ce faire, ils ont enfreint la loi.
Dans les années 70, des militantes féministes, parmi lesquelles nombre d’entre nous, avaient également transgressé la loi. Les unes avaient publié le Manifeste des 343 femmes ayant avorté (Nouvel Observateur, 05/04/1971), d’autres (ou parfois les mêmes) ont accompagné des femmes désirant se faire avorter à l’étranger, certaines encore ont pratiqué des avortements clandestins, jusqu’à l’adoption de la loi Veil en 1975.
Dans les texte : » Choisir sa vie, Choisir sa mort » publié dans Libération le 1er novembre 2019, nous nous disions prêtes à enfreindre la loi pour finir notre vie dignement. Serons-nous, si rien ne change, acculées à le faire.
Le texte paru en 2019 avait été signé par 200 femmes, celui-ci a été signé pour le moment par une centaine de femmes.
L’information franchouillarde
Ce livre est paru en 2019 (Table ronde). Il raconte la vie quotidienne d’un travailleur intérimaire dans des abattoirs, des usines de transformation de poissons etc.
C’est simple, concis, horrible.
« De quoi rêvent-ils
Toutes les siestes
Toutes les nuits
Ceux qui sont aux abats
Et qui
Tous les jours que l’abattoir fait
Voient tomber des têtes de vaches de l’étage
supérieur
prennent une tête par une
La calent entre des crocs d’acier sur une
machine idoine
Découpent les joues les babines puis jettent
Les mâchoires et les reste du crâne
Huit heures par jour en tête à tête
On l’avait perdue de vue, la lutte des classes.
Outre les inondations, la Covid et quelques agressions sexuelles chez les gens célèbres, on avait presque oublié que les usines continuaient à tourner en « présentiel »,que des accidents du travail se produisaient sur les chantiers et dans les usines, que la Syrie ne se relevait pas, que l’Iran s’enfonçait dans la crise,que le Liban ne s’en sortait pas, que des massacres avaient lieu en Afrique etc…
On se disputait autour de la cancel culture, de l’intersectionnalité, des mouvements décoloniaux…
Merci à Joseph Ponthus et à quelques autres de nous rappeler que le vieux monde est toujours là, que la lutte des classes n’a pas disparu et que les combats des travailleurs et de leurs syndicats ne sont pas obsolètes.
Cours camarade, le vieux monde est toujours là.
La règle du jeu social n’est pas la morale mais le droit
La Morale (du latin mores, mœurs) est la science du bien et du mal.
L’enseigner aux enfants ou aux adolescents relève de la prouesse.
Comment enseigner le bien et le mal à des enfants venus de sociétés, de religions, de milieux sociaux différents, sans que cela conduise à des réactions opposées, voire violentes, notamment quand elle touche au statut des femmes ou à la place des religions.
La Morale évolue avec le temps : Qui aurait imaginé il y a encore 50 ans dans nos pays, le mariage pour tous ? A contrario, qui pourrait enseigner en 2020 que le suicide assisté pour les personnes malades ou dépendantes, est du côté du bien, (ce que nombre de français pensent) alors même qu’il est interdit par la loi et par les religions ?
Comment expliquer à des enfants que parmi les participants à ce jeu social, il y en ait de très riches qui refusent parfois de partager leur magot et de très pauvres qui meurent de faim. Ces inégalités font-elles partie du bloc Bien ou du bloc Mal ?
Si même des adultes censés penser rationnellement ont parfois du mal à différencier le bien et le mal, comment peut-on le faire comprendre à des enfants qui abordent la vie sociale, dans des conditions parfois difficiles.
Par contre les enfants jouent. Ils jouent à des jeux vidéos, ils jouent au football … Dans tous les jeux il y a des règles. On peut même dire qu’il n’y a pas de jeux sans règles. Si l’on touche le ballon avec la main, on reçoit un carton rouge et l’on peut-être exclu du jeu.
La société peut se comparer à un jeu, avec ses règles propres de coexistence. Ces règles constituent le Droit. Elles ont une histoire nationale et internationale qui permet de les remettre dans leur contexte et de comprendre leur évolution. Elles sont obligatoires pour tous et toutes. Tout manquement grave peut valoir une forme d’exclusion du jeu social. En d’autres termes, le droit sanctionne, pas la morale.
Certes, souvent l’application du droit laisse à désirer pour des raisons diverses. A titre d’exemples, on peut citer le manque d’agents ou de relais syndicaux pour le droit du travail, l’appréhension faussée par certains policiers ou juges des violences contre les femmes, l’absence de volonté du législateur de condamner – même quand les textes de loi existent- des pratiques économiques ou environnementales qu’ils estiment contraires à l’intérêt de l’économie capitaliste.
D’un autre côté, il peut y avoir à des moments historiques des lois scélérates (lois racistes) ou des lois attentatoires à la liberté (la loi interdisant de prendre en photo les policiers dans l’exercice de leurs fonctions) auxquelles, pour certains d’entre nous, notre idée du bien et du mal nous ordonne de désobéir.
Le droit dans un Etat démocratique ne prétend pas changer le monde. Il s’efforce d’organiser les relations humaines dans le sens de l’apaisement en tenant compte des contradictions inhérentes à toute société humaine.
Rappelons quelques unes des règles contenues dans la Déclaration des droits de l’Homme de 1789 ou dans le préambule de la Constitution de 1946 ou encore dans la déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 :
– La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui (art 4 de la DDHC, 1789)
– La loi garantit à la femme dans tous les domaines des droits égaux à ceux de l’homme (art 3 du Préambule de 1946)
– Toute personne persécutée en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur le territoire de la république.(art 4 du même préambule)
– Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi.( art 10 de la DDH, 1789)
– La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme.(art 11 de la DDH, 1789)
– La volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics ; cette volonté doit s’exprimer par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement, au suffrage universel égal et au vote secret. (art 21 de la DUDH, 1948
L’enseignement de certains grands principes du droit, de leur histoire et de la difficulté de leur mise en œuvre ne semble pas faire partie des enseignements obligatoires dans les collèges et lycées. Seul le Bac STMG (Sciences et techniques du management et de la gestion) , comporte un enseignement de droit tourné vers les techniques du droit.
Pourquoi les principes généraux du droit ne sont-ils pas enseignés dans le secondaire ? Sans doute a-t-on peur d’ennuyer les jeunes avec des concepts et des techniques compliqués et inutiles.
Il s’agirait seulement de remplacer l’éducation morale par la sensibilisation aux règles essentielles et sanctionnées qui structurent notre jeu social. On peut espérer que cette approche loin de dégoutter les jeunes élèves, leur rendrait le droit sympathique et qu’ils comprendraient mieux pourquoi une règle juridique édictée pour le bien des citoyens doit être appliquée par tous.
De la colère au ressentiment puis à l’indifférence ( Inspiré par « Ci-gît l’amer » de Cynthia Fleury
Merci à Cynthia Fleury de m’avoir aidé à identifier ce mal qui me ronge : Le ressentiment contre l’humanité entière.
Née Juive en 1940, j’ai cru pendant longtemps au « Plus jamais ça ! » malgré le pessimisme de mon père qui répétait à l’envi qu’il y aurait une troisième guerre mondiale, parce que l’économie l’exigeait et parce que les êtres humains aimaient la guerre.
J’ai milité toute ma vie pour que le monde change.
Dans les années 90, je me suis sentie peu à peu envahie par une forme d’envie ridicule : vis à vis des riches, vis à vis des belles femmes, vis à vis des gens qui parlent bien…
Mais un autre sentiment commençait à s’insinuer en moi. Déprime, tristesse …
Puis j’ai appris à le nommer : Colère. Colère contre les « amis » qui ne parlent que d’eux , contre la connerie, contre le fanatisme, contre la démagogie, contre les râleurs professionnels…
C’est fatigant et inutile d’être tout le temps en colère.
Alors, il y a environ dix ans, j’ai entrevu au fond de moi l’indifférence : « Le sujet ressentimiste » va projeter sur le monde un voile d’indifférenciation et de dénigrement qui ne lui permet plus de se nourrir de ce monde. » dit Cynthia Fleury (interview dans ELLE de novembre 2020 à propos de son livre : « Ci-git l’amer-Guérir du ressentiment, Gallimard)
Il n’y a peut-être rien de pire que l’indifférence.
Le monde comme il va, me conduit à une forme de colère calme, résiliente, à forte dose d’indifférence.
Je ne pense pas que les êtres humains puissent changer. De nouvelles catastrophes se produisent partout autour de nous. Le racisme, le sexisme, l’antisémitisme perdurent.
Du côté de la « révolte » les nouvelles féministes intersectionnelles, les nouveaux anti-racistes, les mélenchonistes et autres Hamonistes me donnent envie de pleurer quand il faudrait en rire.
Telle Sisyphe, je pousse mon petit rocher qui retombe.
Pourquoi se battre contre des moulins à vent ?
Vos recettes, chère Cynthia, ne sont pas adaptées à mes 80 ans : être un artisan, jardiner, faire de la méditation, aimer et procréer, s’engager politiquement… A part l’artisanat, j’ai tout fait . pour moi la vie a été belle malgré tout. mais comment se contenter de sa petite vie ?
Peut être finalement l’indifférence est-elle MA solution. Mais elle est désespérément triste.
Mon chat et moi on a le même âge : témoignage
Mon chat et moi on a le même âge
-Je m’appelle Meschugue.( ça veut dire cinglé en yiddish.Je ne me sens pas juif. C’est bizarre cette revendication identitaire! Moi je serais plutôt universaliste, mais bon…) Je suis né en Aout 2003. J’entre dans ma dix huitième année, ce qui me fait en équivalent humain plus ou moins 85 ans.
Je sens bien que je vieillis. J’ai mal partout et même faire pipi dans ma caisse me fait souffrir.
Avant, il y avait un vieux monsieur sympa ici (qui a mystérieusement disparu). Il me donnait à manger en hauteur, parce qu’il avait sans doute du mal à se baisser. Il fallait que je saute et j’aimais bien montrer ma souplesse.
Cet endroit était à moi seul et je pouvais observer les deux habitants de cette maison sans avoir à lever la tête.
Depuis quelques mois je mange par terre. C’est un peu dégouttant. Je vois les pieds de ma patronne, maintenant seule, frôler ma gamelle.
Je ne sais pas ce que cette gentille vieille dame a fait du vieux monsieur. Son absence m’a attristé pendant plusieurs semaines. Pour la punir- au cas où elle aurait été responsable de sa disparition…on me cache tout- je la mordais dès que je sentais qu’elle pensait à autre chose en me caressant. Et c’était souvent que son regard s’assombrissait et que de l’eau tombait de ses yeux.
Avant j’étais un beau chat européen au poil fauve bien lisse, bien planté sur mes quatre grosses pattes.
Maintenant j’ai mal à l’arrière train. Je marche de travers et parfois je m’emmêle les pattes arrière. Il paraît que c’est de l’arthrose et que l’on n’y peut rien. C’est la femme méchante qui prétend m’ausculter qui l’a dit. Je l’ai toujours détesté celle-là pour ses incursions dans ma vie privée.
La dernière fois que j’ai vu cette bonne femme qui prétend me soigner, elle avait peur de moi. Elle portait des immenses gants. Elle m’appelait le chat tigre. Elle m’a planté une aiguille dans les fesses et je me suis réveillé très en colère et sans griffes.
Depuis ma maîtresse ne traverse plus la place de la Nation en ahanant, avec moi dans une caisse sale et moche pour aller voir cette horrible femme. Si c’est ça vieillir, c’est toujours ça de pris.
Maintenant je n’arrive plus à atteindre mes poils en bas de mon dos. J’ai des grosses boules de poils agglutinés. Je suis hirsute. On dirait un chat de gouttière.
Avant j’aimais bien montrer mes talents de gymnaste. Je sautais sur la grande armoire. Je regardais les deux humains m’applaudir d’en bas et après ce petit succès, je m’élançais vers le bas.
Mais la dernière fois, je me suis fait mal au dos. Je n’ai pas crié parce que comme tous les félins je suis très courageux. je passe plusieurs fois par jour devant cette grande armoire. Parfois elle me rend un peu triste et je me sens vieux et inutile.
Ma « maîtresse » dit souvent que quand on devient vieux, on devient aussi invisible.
Je ne sais pas trop ce que ça veut dire. Alors pour que l’on s’intéresse à moi je pousse des cris gutturaux. Ou alors le matin quand j’ai faim, je saute sur la forme allongée dans le lit. C’est radical pour se faire remarquer.
Il m’arrive de m’ennuyer un peu. Je regarde fixement ma « maîtresse ». Elle me caresse et envoie une petite boule en papier au loin. il faudrait que j’aille la chercher mais ça m’ennuie. Je sais qu’elle fait cela pour me distraire, mais elle ne semble pas comprendre qu’à mon âge, on ne joue plus.
Je dors beaucoup. Parfois, je rêve à ma jeunesse, à mes promenades dans les bois quand ces deux êtres à deux pattes m’emmenaient à la campagne et à ce grenier où j’allais me reposer après mes escapades, au petit chien gris tout poilu dont j’étais un peu jaloux. Heureusement, il est mort jeune. Et moi je suis toujours là.
Souvent, j’ai un peu froid. J’ai trouvé une cachette. Je me glisse entre le couvre-lit et le drap. Je suis bien, à l’écart du monde et de ses turpitudes, qui ne m’intéressent plus.
Je me demande parfois si je suis éternel. Comment ferai-je si ma vieille amie disparaît comme son compagnon un jour ?
Mais la plupart du temps, je ne pense pas à l’avenir ni au passé. Je profite de l’instant sur le canapé en cuir.
J’attends le mou du soir et le câlin dans le lit. J’entends ma « maîtresse » (je n’aime pas ce mot. Je suis un chat fier qui proclame : Ni dieux, ni maîtres!) murmurer à mes oreilles des mots d’amour. C’est agréable, juste un peu bizarre. Après quelques minutes, j’en ai marre. Je la mordille et je m’endors sur le petit meuble en liège près du lit d’où je peux observer ses mouvements.
Quand j’aurai trop mal, je le ferai savoir à ma vieille amie. Alors pour la dernière fois, elle m’emmènera chez la méchante dame.
J’ai de la chance. Pour une fois je serais content qu’elle me pique les fesses pour que je m’endorme sereinement, la patte dans la main de mon amie.
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En écoutant Léo ferré chanter Aragon : Pour Guy
Cela fait seize mois que tu es parti. Que c’est dur de vivre dans ce monde cassé sans toi.
Ma vie en vérité commence
Le jour où je t’ai rencontré
Toi dont les bras ont su barrer
sa route atroce à la démence
Et qui m’a montré la contrée
Que l’intelligence ensemence
Je suis née vraiment de ta lèvre
Ma vie est à partir de toi.
Ce 17 octobre 2020, Place de la République en hommage à Samuel Paty
Ce qui m’a frappé quand je suis arrivée place de la République, c’est d’abord cette sensation du recommencement : Charlie, Les attentats antisémites et tant d’autres manifestations depuis 60 ans sur cette place.
Quelques unes ont servi à modifier les lois ou l’histoire .Beaucoup d’autres n’ont servi à rien.
Mais depuis au moins 2012 (pour la France) les morts atroces de ces victimes sublimes donnent envie de hurler : les enfants juifs de Toulouse, une policière,un prêtre, les dessinateurs de Charlie, les spectateurs du Bataclan, les clients de certains bars ou ceux de l’hyper Casher, les promeneurs de Nice (pardon à ceux que j’oublie) Quel terrifiant et inutile massacre!
Seul l’universalisme peut nous sauver de l’horreur : les identitaires, les intersectionnelles, les amoureux de la cancel culture dont certain(e)s se revendiquent de la gauche, participent de ce rejet de l’Universalisme. Par leurs prises de position pour la différenciation, ils risquent de devenir les idiots utiles de criminels.
Encore une fois les catégorisations imbéciles (Les Blancs, LES Noirs, LES Femmes, LES hommes, LES Juifs, LES Arabes etc conduisent au pire.
Mais en ce 17 Octobre, place de la république, au milieu de ce désastre, il y eut cette femme berbère derrière son stand, se revendiquant du HIRAK, venant chaque dimanche sur cette place parler de cette révolte des Algériens contre un régime corrompu. Comme je lui reprochais l’absence de drapeau français à côté des drapeaux palestinien et berbère, elle a sorti un papier froissé de sa poche et m’a montré le texte de soutien à Samuel Paty qu’elle avait lu au début de l’après midi aux algériens présents.
Cette femme et ses camarades m’ont redonné un peu de courage et d’espoir.
« Tout ça pour ça », titrait Charlie Hebdo. Ce n’est pas un cauchemar, c’est le monde comme il va.
Le dessin qui illustre ce petit texte (dont je n’ai pas retrouvé l’auteur) pouvait faire rire il y a quelques années.
Quand pourrons nous rire de nouveau ?
Eloge (critique)du Droit
Je reproduis ici la conclusion de mon petit ouvrage : »Le Droit », publié dans la collection : Idées reçues (Le cavalier bleu, 2002)
Ecrit il y a vingt ans, je ne renie rien de ce texte. Et depuis vingt ans, je n’ai toujours pas trouvé autre chose pour faire vivre ensemble des individus disparates et prompts à se rejeter entre eux.
« Les idées reçues sur le droit reposent pour une grande part sur les contradictions existant entre des principes proclamés -liberté, égalité, sûreté, souveraineté du peuple , etc- et une réalité souvent inégalitaire, rigide, où l’insécurité règne et où la participation du peuple à l’élaboration des lois n’est pas évidente… Parallèlement, les préjugés s’alimentent d’une difficulté pour nombre d’individus d’aller de « leurs droits » au Droit, puis au Devoir-être ».
L’absence de droit comme l’excès de droit peut entrainer des injustices. La multiplicité des textes juridiques, dont une partie de plus en plus importante émane du droit européen, inspire aux citoyens un sentiment d’impuissance, qui participe de ce qu’Alfred Sauvy appelait « la paupérisation psychologique ». Ainsi, les justiciables connaissent les droits subjectifs – le droit au respect de la vie privée, le droit à des indemnités de licenciement, etc, si l’on en juge par l’importance du contentieux. Quant au droit objectif, il faut en retenir le principe général : nos droits, nos libertés s’arrêtent quand leur exercice risque de nuire gravement à autrui.
Il ne faut pas confondre le droit et la justice. On peut rêver d’une société idéale ou les hommes et les femmes libres et responsables seraient guidés par des règles communes émanant d’une volonté collective, et dont les actes seraient évalués par des juges bons, équitables, compréhensifs mais attentifs au maintien de l’ordre public. Mais cette société est une utopie et le droit ne peut qu’échapper à l’utopie. Il est un corps de règles adapté à une société donnée. Telle loi paraitra juste à certains et injuste à d’autres.
Cette appréhension du système dans lequel nous tentons de vivre ensemble, plus ou moins bien, requiert un apprentissage dès le plus jeune âge dans la famille ou à l’école. il ne s’agit pas d’apprendre aux enfants les techniques du droit. mais dès l’école primaire, il est possible d’expliquer la nécessité de la norme juridique en se fondant sur les règles du jeu des enfants. Il n’y a pas de jeu sans règles strictes.
Le manque ou l’absence de respect de la loi (ou l’appel à une justice populaire) se répand de manière inquiétante dans toutes les couches de la société.L’ignorance volontaire des règles du Code de la route, au mépris de la vie d’autrui, en est un exemple. Le rejet de la présomption d’innocence en est un autre, accru par la prégnance des réseaux sociaux.
Il y a une autre raison à cette perte de repères communs : la montée du communautarisme ou de l’ethnicité d’un côté, de l’individualisme de l’autre. L’entre-soi renvoie aux valeurs du groupe et non aux valeurs communes. L’effacement du projet collectif au profit de projets individuels ou claniques risque de bénéficier aux plus forts.
Il appartient aux citoyens de ne pas rejeter en bloc le droit mais au contraire de se responsabiliser, de devenir acteurs d’un processus non seulement d’élaboration du droit mais aussi de vérification de son application. Il appartient au législateur de fabriquer des lois équitables, d’éviter leur prolifération maladive, de favoriser l’accès au droit et à la justice.