A.B.I. III

Autant mon premier article m’a paru lumineux et séminal, autant le début de mon deuxième me parait abstrus et abscons, de plus daté. il est paru en janvier 1969 dans le numéro 11 de la jeune revue « L’Homme et la Société ».
Essayons malgré tout d’en tirer quelque chose. Le titre de la première partie de l’article est : « L’histoire contestée se remet en question ».
Selon moi, alors, l’hégémonie très relative de la science historique s’accompagnait de l’absence pour celle-ci d’un véritable statut épistémologique lequel me paraissait devoir être aussi scientifique que possible. Je mettais cette exigence sous le nom d’un marxisme renouvelé, de gauche.
L’histoire réelle me paraissait faite d’un ensemble de pratiques qui peut être appelé praxis. La connaissance historique est la science suprême, celle de la praxis, qui devrait utiliser les autres sciences humaines comme autant de sciences annexes.
L’histoire est la plus ambitieuse des sciences, elle sera la dernière à obtenir un statut épistémologique d’autant plus qu’elle doit se le donner elle-même.
Cette opération ne peut être le fait que de la raison dialectique, raison des contradictions historiques qui rendent possible la praxis ( A et Non-A ), mais la raison dialectique n’arrive pas à s’imposer face à la vieille raison aristotélicienne ( A est A ).
La raison dialectique devrait transformer les lacunes de la loi en loi des lacunes, nous permettant de nous rapprocher de la totalité qu’est l’homme à condition de rester dans un processus de totalisation sans fin.
Nous en sommes loin, si loin que le marxisme dans les années soixante était tenté par ce que j’appelais le structuralo-marxisme, d’Althusser et d’autres, un retour de l’aristotélisme dans ce qui devrait être son contraire, le structuralisme faisant figure à l’époque d’idéologie ambiante pour élites intellectuelles.
Cette époque me paraissait marquée par ce que j’appelais la cybernétique, la science nouvelle des circuits intégrés, des réseaux d’informations, à machines automatisées ( voir page 163 de l’article ). Une idéologie technocratique risquait fort de s’imposer. Là je suis fier de mon analyse, en quelque sorte prémonitoire.
Althusser, le plus grand « poète » de l’époque, l’auteur le plus influent sur le langage, avait choisi de s’opposer à l ‘humanisme alors que pour moi il s’agissait de le refonder.
La résistance ne pouvait être que scientifique. Je reprochais à Althusser de faire de la « théorie théorique », c’est à dire de la philosophie. Mon jugement était qu’il ne pouvait y avoir véritablement de philosophie marxiste. Ou bien le philosophe n’était pas marxiste ou bien il n’était pas philosophe.
Ma conclusion était que c’était la part de sociologie historique de l’histoire qui restait à fonder, c’est à dire sa part de théorie, de théorie scientifique.
Près de cinquante ans plus tard l’histoire empirique est plus dominante que jamais, toujours accompagnée de son aura idéaliste et virtuelle, jolies idées, jolies images, peu conscientes le plus souvent,…
Je suis en 2016 moins optimiste et je n’utilise plus un terme ambitieux comme celui de praxis. La Praxis me parait aujourd’hui un témoignage de l’esprit de 1968, époque où j’en ai parlé.
Je ne me réclame plus du marxisme, je me dis marxien, mais je fonde toujours mes analyses historiques de la Production sur la pensée de Marx. La Production est selon moi la première instance de l’Histoire avant le Politique.
Si j’avais été si malin, dans les années soixante, je me serais préoccupé d’écologie, terme scientifique à l’époque, et de féminisme, courants qui sont apparus et se sont développés dans la décennie suivante…
je n’ai pas été tendre avec ce premier article de 1969, le deuxième dans ma petite carrière, mais je lui avais placé en exergue une devise que j’ai conservée : « Dubito ergo ( non ) sum », « Je doute, dons je suis, je doute, dons je ne suis pas ».