Mélomanes

Nous avons eu des amis de qualité qui étaient férus de musique classique. Ce qui me parut étrange est qu’ils atteignaient tout juste Debussy et qu’il n’était guère question de Ravel. Ils boudaient tous les développements de la musique dite sérieuse au XX° siècle, que ce soit Stravinsky, la musique russe ( Prokofiev, Chostakovitch… ), Bartok, la musique germanique ( Schoenberg, Berg, Webern…), la musique française ( Olivier Messiaen…), la musique américaine ( Gerschwin, Bernstein, Cage… ) sans parler des derniers venus ( Nono, Stochhausen, Xenakis… ). Inutile de leur parler du jazz. ils furent tout surpris de nous voir nous intéresser aux tout nouveaux Souchon et Renaud, héros à l’époque de « la nouvelle chanson française »…
Beaucoup de gens s’encagent eux-mêmes. Ceci dit on se choisit un terrain de prédilection. Ne crachons pas sur les goûts des autres ! Chez certains la mise en avant de la musique classique signifie un passeport pour la bourgeoisie. Le refus de l’apport, à certains égards révolutionnaire, de Schoenberg et de ses copains dénote un conservatisme profond même si par ailleurs on est novateur.
La musique dite sérieuse d’aujourd’hui est quasiment inaudible pour une majorité de mélomanes. On peut même imaginer une musique parfaite, conçue sur ordinateur, et que personne ne pourrait entendre.

Homme-Femme

La femme est la part animale de l’homme et l’homme sa part bestiale. Il y a autant de différence entre l’homme de sexe féminin et l’homme de sexe masculin qu’entre le beau et le laid. Le mâle joue à des jeux soit-disant virils pour faire oublier qu’il est artificiel. La femelle la plus sophistiquée reste naturelle. Le mâle baise, la femelle fait l’amour.
Ce portrait que je dois à Hétéro Clite est simpliste, il n’est pas faux. Il faut certes le nuancer à l’infini et même dans certains cas le retourner.
L’homme et la femme sont destinés à s’entendre. Nous n’en pouvons plus des recettes patriarcales fondées sur l’exploitation éhontée de la femme. Une chance traditionnelle pour celle-ci : elle reste maîtresse de la sphère domestique.
Le rapport Homme-Femme est fondamental pour toute société. On peut dire de façon générale que si l’on ne s’entend pas à deux, on ne s’entendra pas à vingt, à deux cent, à deux mille… Le rapport H-F garde toute sa spécificité dans le culte de la différence ( pro ) créatrice.
Il ne s’agit pas une seule seconde de croire que l’H et la F peuvent être identiques. Mais ils peuvent être singulièrement semblables. C’est une question d’éducation, de travail, d’idéal. Il n’y aura plus de préjugés à la façon d’Hétéro Clite. Il faut beaucoup se parler, se confier. La sincérité, l’honnêteté sont absolument nécessaires.
Ces éminentes qualités sont particulièrement bienvenues là où elles sont le plus rares, en matière sexuelle. Avouez-vous l’un à l’autre la diversité de vos désirs. Satifaites-les dans une certaine mesure. Terminez-en avec l’adultère, c’est-à-dire le mensonge. Pratiquez de bonnes baises. Les transgressions ne doivent pas provoquer des dommages irrémédiables. Vous n’éviterez pas tous les traumatismes.
A ces nombreuses conditions, fondées sur la discipline personnelle, hommes et femmes sont heureusement complémentaires.

L’espoir

L’espoir fait vivre. Mais il n’y a pas d’espoir sans désespoir.
L’espoir est le désespoir de l’instant présent.
J’ai beaucoup vécu dans l’espoir. J’ai respecté le « principe espoir » du théoricien marxiste Ernst Bloch
Dans les années soixante, après le succès de certaines luttes de libération nationale, au Vietnam, en Algérie, après l’explosion de Mai 68, devant un bloc « socialiste » qui paraissait susceptible d’évoluer de façon positive par des voies diverses, de Tito à Mao, je pensais que s’ouvrait sur la gauche du parti communiste un large espace propice aux luttes.
Je n’avais pas tout à fait tort. Qu’on pense au féminisme, à l’écologie, à l’homosexualité ! Les années soixante-dix ont été expérimentales. J’étais partisan d’un vaste dialogue sans exclusives. Je déclarais même : « Pas d’ennemis à gauche ». A partir de 1980 j’ai déchanté dans le même temps que soudain je vieillissais. Les erreurs de jeunesse du gauchisme étaient devenues sénilité.
J’espère moins, je désespère moins. J’apprécie le bonheur. J’ai même connu la déprim’ du bonheur, ce malaise intime qui provient de l’absence inattendue d’adversité.
Le bonheur n’est pas la joie. Le rire a peur. Le rire est réaction soudaine à une peur éventuelle.
Mais je me souviens d’Héraclite : « Si tu n’espères pas, tu ne recevras pas l’inespéré ».

Le paradis

Le paradis est là où je suis car l’univers est là où je suis.
Tu voyages ? Tu emportes ton monde avec toi.
Parfois plus tu vas loin, plus tu t’ouvres. Parfois c’est en faisant du surplace que tu progresses.
Nous méritons notre sort. Rien ne t’est dû. Vivre, c’est aussi tolérer ses échecs.
Pas de liberté pour les négateurs de la liberté. mais la liberté n’est véridique que sous le contrôle de la liberté. Pas de liberté sans libre discipline de la liberté.
Il faut de tout pour faire un monde. Respecte le sens commun. Tous les fleuves vont à la mer puisque c’est la définition des fleuves. Méfie toi de « la vertu dormitive de l’opium », c’est à dire des faux concepts qui n’expliquent rien, qui ne sont qu’un nom.
Respecte le sens commun, il est plus complexe que tu ne le crois car il est chargé d’histoire.
Conteste le sens commun quand il nie le Bon Sens, mélange de vérification empirique et de raisonnement théorique qui aboutit à autant de certitude qu’il nous est possible.
Tout ce qui est grand est rare. Sache être petit. 🙂
Mais n’oublie pas que tout l’univers est nécessaire pour que tu sois possible.

Hommage à Blaise Pascal

Feu.
Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob.
Non des philosophes et des savants.
Certitude. Sentiment. Joie. Paix.
Dieu de Jésus-Christ.
Ton Dieu est mon Dieu.
Souvenir du monde et de tout
Avec ou sans Dieu.
Si tu es juste, Dieu, s’il existe, te retrouvera.
Parie sur Lui si tu le désires ardemment.
N’oublie pas la fraternité humaine.
Dieu adoré par l’homme est imparfait.
Dieu n’exige pas qu’on l’adore.
Poursuis ton chemin s’il est le tien,
Modeste et fier,
Douteux et scientifique.
Accède au pardon.
Si tu es juste, Dieu t’absoudra.
Sois éternellement en joie
Pour un jour d’exercice sur la terre.

P.S. : J’avais dix-huit ans quand un camarade chrétien me posa la question du pari de Pascal. Pourquoi ne pas parier sur Dieu puisqu’Il est infini et promet un infini ? Je mis huit jours à trouver la réponse que je résume en un poème inspiré par le texte le plus mystique de Pascal. Les six premiers vers sont même de lui ainsi que les deux derniers. Qu’on n’y voie nul blasphème ! On ne peut pas prouver que Dieu n’existe pas. Pascal est un sceptique croyant, je suis un sceptique incroyant.

2°P.S. : Parmi les modes ridicules qui agitent Paris, citons le rejet radical de Pascal par quelques esprits distingués au point de l’exclure de la liste des auteurs qu’on peut citer.

Le petit satyre de Hugo

Il était petit, puis il grandit
Il passait inaperçu tant qu’il n’était pas un géant
Il se cacha quand il fut une tour
Il s’enfuit quand il se métamorphosa
En montagne
Moi, son seul ami, je vous jure que j’ai vu,
De mes yeux vu,
Des tigres monter dans ses aisselles
Des aigles nicher dans ses oreilles
Sa chevelure était une foret vierge
Ses yeux des lacs pers
Ce que j’ai vu de sa bite m’a épouvanté :
Elle ressemblait à une baleine
Il grandit encore
Un pied en Europe, un autre en Afrique
Son cul fut la lune
Il s’envola quand la tête approcha de Jupiter
C’est alors qu’il me parla
Comme un tonnerre dans les oreilles
Je n’ai rien compris de ce qu’il me racontait

Ensuite dans la nuit je me suis dit :
« Il n’y a pas d’effet sans cause
Quelle peut être l’immense cause
D’un si grand effet ? »
Quand je me suis réveillé d’un coup
Je me disais que le sexe est
L’origine de tout
Et qu’il n’y a pas d’origine
Sans origine
Une chanson devint une scie à l’ancienne :
« Pan ! Pan ! Pan ! Voilà le dieu Pan ! »
En prenant mon café
Je pensais que je passais mon temps
A des imbécillités
Je me suis levé pour aller à mon ordi’
J’ai dit : « Pour Victor Hugo et le dieu Pan, tout est Dieu.
Ca me convient très bien à moi
Qui suis homme et dieu ».
Le copain, redevenu normal, presque nain,
Un petit djinn,
S »exprima timidement :
« Tu penses à la part naturelle et mystérieuse
De l’Homme, c’est-à-dire de tout homme ? ».
« Plus exactement je pense au Divin,
A la part naturelle et mystérieuse
De l’Homme et de tout homme »

L’Un de Singevin

Après l’hommage que je viens de rendre à Héraclite, mais aussi à Empédocle, je voudrais rappeler l’oeuvre qui m’a consolidé dans mes choix philosophiques, celle de Charles Singevin, « Essai sur l’Un », Seuil, 1969.
« L’Un » ou comment traiter de l’Etre. Je constate avec plaisir que la réputation, certes limitée, de cet auteur reste intacte.
Il est devenu naturel pour l’être humain de se poser des questions philosophiques sans même y réfléchir du genre : « Qui suis-je ? D’où viens-je ? Où vais-je ? ». La meilleure réponse est peut-être celle de Pierre Dac : « Je suis moi, je viens de chez moi et j’y retourne ».
L’omni-présence de la science et de la technique ne doit pas nous faire oublier qu’il reste de l’inconnu au delà et en deçà. Il est loisible de se soumettre à quelques injonctions du genre : « Connais-toi toi-même » à condition de retenir que le connais-toi toi-même, socratique après avoir été delphique ( l’une des deux inscriptions sacrées à l’entrée du sanctuaire de Delphes), le « connais-toi toi-même » signifie surtout qu’on ne se connait pas soi-même.
Il n’y a pas de réponse sûre dans ces domaines, peut-être pas de réponse du tout. Il est important de continuer à se poser des questions pour ne pas prendre son ignorance pour un savoir.
Le mieux serait que la réponse soit dans la question.

Polysémies

Il y a quelques années certains exprimèrent leur étonnement devant l’introduction du terme « polysémie » au collège, de plus en classe de 6°. Il y avait de quoi être surpris de cette réaction. Peu de notions sont aussi importantes pour les débutants que celle de « polysémie ». Il est bien vrai que nos mots ont bien des sens et qu’il faut parfois de la finesse pour les distinguer.
Je voudrais donner un petit exemple : le vocable « case ». On se souvient de « la case de l’oncle Tom ». On s’est moqué de Tom parce qu’il était trop gentil, trop soumis. N’empêche que ce petit livre a joué son rôle dans la préparation idéologique à la guerre de Sécession. Tout le monde connait les cases du jeu d’échecs, du jeu de dames. Etc…
Mais une autre case va retenir mon attention, celle que l’on rencontre dans l’expression familière : « Il lui manque une case ».
De quel genre de « case » peut-il s’agir ? Faute de réponse à cette question, je demeure intrigué par le fait, certes très hypothétique, qu’on peut parfaitement avoir une « case » en trop, qu’on peut avoir des cases en trop et des cases en moins, toujours sans savoir ce que sont ces fameuses « cases »…

La nouvelle naïveté

Tu es une apparence parmi les apparences. Tu as souvent le sentiment de ne pas dominer ton destin. Tu exprimes le souhait légitime de dépasser ces apparences et même de les traverser. Tu te retrouves de l’autre côté. Tu vois l’envers du décor, tu vois aussi des échafaudages, des sacs, des tas, des décombres, des gravats… Tu entends des bruits suspects, tu sens mauvais… Tu crains les fantômes issus de ta méchante mémoire… Auras-tu la force d’aller plus loin, d’aborder les rives d’Héraclite ou d’autres penseurs, issus de nombreuses nations, et de comprendre enfin que les apparences ne sont que ce qu’elles sont et que tu n’as qu’elles ?
Le cosmos est logique, mais toi, l’es-tu ?
Portant après ta traversée des apparences, tu te sens mieux, tu titubes moins, tu peux enfin aimer, tu te donnes peut-être définitivement le droit d’exister.
Tu ne redeviens pas un enfant, tu respectes l’enfance. Tu n’es pas puéril, il est possible que tu sois un homme neuf.
La naïveté n’est pas ce que tu crois de prime abord. Elle signifie état natif, état naissant. Elle retrouve les premiers émois du monde, leur donne sens. La nouvelle naïveté est renaissance, peut-être résurrection. Elle est un nouveau printemps.

Progrès

A l’issue de l’an 2000, une enquête d’opinion montrait que les intellectuels dans leur ensemble ne croient pas au Progrès, sauf un, Yves Coppens qui, en tant que paléontologue, était bien obligé de constater de gigantesques « progrès » depuis la petite Lucy, du haut de ses 110 centimètres, il y a plus de trois millions d’années. La bipédie s’est affirmée, le cerveau s’est beaucoup développé, les mains ont manipulé de plus en plus d’outils jusqu’à l’invention de l’ordinateur portable.
Mais on ne peut confondre les progrès avec le Progrès. Depuis quand y-a-t il eu un Progrès indéniable ? Avec l’invention des l’écriture, des villes, de l’Etat ? Dans certaines régions, à la fin du IV° millénaire avant le Christ et surtout au III°, en Egypte, en Mésopotamie, en Chine ? Oui, mais ensuite ?
Avec l’esclavage grec et romain, avec le servage occidental et japonais ? Peut-être. Plus sûrement avec le capitalisme, devenu mondial vers la fin du XIX° siècle sous la forme de l’impérialisme qui dure encore et de plus en plus. Après les formes d’exploitation pré-capitalistes ( la « servitude généralisée » de type « asiatique », l’esclavage, le servage), le salariat s’est imposé et généralisé.
La force extrême du capitalisme est qu’il utilise au nom de l’argent, des rapports monétaires, de l’enrichissement, l’ensemble des qualités humaines, les meilleures et les pires, l’esprit et le vice. Il fait feu de tout bois.
Pour l’instant le capitalisme est notre système. Il est impossible d’en sortir vers le haut, vers une société meilleure. Même les crises en série, les effondrements divers ne nous feraient pas sortir du système. Nos mafias sont capitalistes de façon violente, archaïque, clanique, patriarcale et pourtant innovante.
Sortir vers le haut du système capitaliste signifierait le socialisme, société humaine fondée sur les vertus humaines et non un mélange inextricable de vices et de vertus, de positif et de négatif. Pour le moment le socialisme est impossible. Lui seul serait le Progrès.