Dates

L’histoire est d’abord la science d’établissement des dates. Encore faut-il savoir en établir l’importance. Qui se souvient de celle de Marignan 1515 ?
Pour le XVIII° siècle on se rappelle 1776, l’indépendance des Etats-Unis d’Amérique, 1789, le début de la Révolution française. On oublie 1763, l’affirmation de l’hégémonie anglaise sur les mers, isolant la petite population française du futur Québec.
Pour le XX° siècle on se souvient de 1945, fin de la seconde guerre mondiale, de 1991 auto-destruction de l’Union Soviétique. On sous-estime 1979, date de deux catastrophes, d’un côté l’annonce de l’auto-génocide cambodgien, au nom soi-disant du marxisme-léninisme, de l’autre l’arrivée au pouvoir de l’ayatollah Khomeiny en Iran, c’est- à-dire la première victoire de l’islamisme radical.
En 1970 le conflit mondial apparaissait se dérouler entre l’Ouest, capitaliste et libéral, et l’Est, collectiviste. En 2020 il se déroulera probablement, certes à un moindre degré, entre l’Occident, toujours libéral, et l’islam intégriste. Depuis 1979 le combat a changé d’âme. Les excès du marxisme-léninisme l’ont tué, les excès de l’islamisme lui ont réussi.
Nous avons tous fêté le printemps arabe. Mais qui en a tiré profit, sinon l’islamisme ?
Rappelons que l’islam en lui-même n’est pas en cause pas plus que n’importe quel monothéisme qui peut toujours échapper à ses dérives passéistes et provisoires. Il ne s’agit pas ici de rentrer dans une querelle métaphysique.
Rappelons encore que le meilleur des historiens ne prédit pas l’avenir. Comme le répétait l’ami Yvon Bourdet, il y a eu des milliers d’ouvrages pour analyser mai 68, aucun pour le prévoir.
Rappelons enfin que je reste toujours historien, même quand je parle d’Héraclite. Je suis alors un historien de la philosophie, même si comme tout historien j’ai besoin d’une philosophie personnelle qui se trouve fondée par Héraclite.

Sport

Les humains sont joueurs. Le jeu est une activité essentielle pour eux. Ils se prennent au jeu. A n’importe quel jeu. On les voit s’évertuer, se passionner. De n’importe quoi ils font un jeu. Ils y excellent bientôt.
Le jeu associe le meilleur et le pire. Les jeux sont très différents les uns des autres. Certains sont du hasard pur. D’autres mettent en jeu les plus hautes fonctions de l’intellect, par exemple la capacité d’analyse stratégique. D’autres encore valorisent les performances physiques.
Le jeu est passionnant. Il suscite les passions. Il propage les passions les plus déshonorantes. Le culte du hasard devient superstition. Le goût de la victoire devient rivalité sanglante ou sournoise. Les narcissismes s’en donnent à coeur joie, de l’individu isolé à la grande nation, de la petite ville à la grande.
L’argent s’en mêle. Les grands talents sont récompensés par des sommes folles. Encore sont-ils bien de grands talents. Comme ailleurs les talents sont rares, les grands talents sont très rares, les génies sont rarissimes. Nous sommes depuis longtemps arrivés au sport, activité essentielle en soi et pour nos sociétés, pour les hommes de sexe masculin comme pour les femmes.
Le sport est un miroir de la société avec ses hontes et ses misères, ses coups doubles et ses exploits, avec ses drogues de plus en plus élaborées. Il est humain d’être sportif, il est sportif de rester humain.
Les sports collectifs, comme le rugby, exaltent l’esprit d’équipe. Les sports individuels saluent la performance. Il ne faut pas mettre celle-ci au dessus de tout, il ne faut pas la nier non plus. Le jeu et le sport, qu’on les critique ou qu’on les adore, en appellent, comme tout, à l’esprit de mesure.
Ils en appellent à la politesse qui réduit les antagonismes. Pour le sport a été inventée une belle expression: le fair play, le joli jeu, le jeu correct.
Parmi les sports individuels, en dehors de l’athlétisme, je préfère le tennis, invention si british. Je le regarde en ce moment, en vous écrivant, puisque c’est le temps du fameux tournoi de Roland Garros. Ce n’est pas tant parce qu’une partie de tennis n’est jamais finie tant qu’elle n’est pas achevée, tout pouvant se retourner in extremis, sur un coup de raquette et sa suite victorieuse, le temps d’une partie étant extensible. Ce n’est pas tant parce qu’on ne peut gagner qu’avec au minimum deux points d’avance. Etc… C’est parce que l’antagonisme qui parait naturel aux humains est canalisé par une raquette, une petite balle, un filet qu’on n’a même pas le droit de toucher avec une partie de son corps. Le duel se déroule sans contact direct.
Rappelons enfin l’essentiel, pas de jeu, pas de sport sans règles, créatrices du jeu, et sans respect intangible de ces règles.

Blêmes

Les fleurs séchées dans les yeux
Font sortir la terre cuirassée

Dans cette aube de ville
Des ombres un vélo de carton à la main
Travaillent pour les banquiers

Dans les villes affreuses
Rien ne pousse
Sauf les fleurs de sang

Les villes de pierre pleurante
Les villes de pierre hurlante
S’effondrent

Surgissent de la terre libérée
Les villes pleines
De fleurs et d’arbres
D’abeilles et de mésanges
Les rats pleins de santé se goinfrent à bon droit
Les humains vont nus

Je vous vois comme je vous aime
Je ne vous regarde plus à travers les grillages

Le garçon vert
Sur sa tête l’herbe pousse
Loin des villes blêmes
Joue dans le cristal

Petits bonheurs

J’avais douze ans quand j’ai pris connaissance du livre de Colette Vivier, « la maison des petits bonheurs ». Moi, dont le menu quotidien était fait de Tintin et de Jules Verne, je rencontrais enfin une vraie petite fille de mon âge, copine d’enfants nous ressemblant, parlant, jouant comme nous. Ce fut l’enthousiasme qui m’émeut encore, quelque soixante ans plus tard.
Je viens de reprendre le livre, j’ai retrouvé l’écho de mes émotions enfantines.

Clémence d’Héraclite

L’homme dans la nuit
Allume une lampe

Quand ses yeux sont éteints
Toujours vivant
Il touche la mort

Réveillé il croit dormir
La lumière n’est pas tout

Du besoin il passe au désir
Son ciel tourne autour de la terre

Héraclite en pleurait dieu mortel
Ses dieux n’étant que des hommes

UN

Embrasements embrassades
Tout Rien
Instruments accordés désaccordés
Harmonies et dissonances
De toute chose l’Un
Et de l’Un toute chose
Nous entrons tous dans le même fleuve
Pour chacun il diffère
On ne prophétise que pour les somnambules
Personne ne connait le logos qui est le seul vrai
Mais nul n’échappe à son éternité
Même éphémère
Les victimes des guerres
Sont nos victime
Présents nous sommes absents
Il faut éteindre la démesure
Plus vite que l’incendie ou l’épilepsie
L’harmonie est tendue comme l’arc et la lyre
L’harmonie invisible est plus belle que celle que nous voyons
Pour la vis le trajet est droit et courbe
La route monte et descend
N’oublie pas où elle conduit l
Les opinions humaines sont jeux d’enfants
Dans un cercle le début et la fin se confondent
Un jour est égal à tous les jours
L’un et l’autre se vaut
Ou se valent
S’il n’y prend garde
Le sage uni à tout est séparé de tous
Un détritus abandonné au hasard
En lui l’Un

N.B. : Philosophie et poésie se joignent en Héraclite

Azur

Ne cherchons pas vite l’azur
Quoiqu’il nous hante
Nous ne serions que déserts
Où s’épuise le silence

La terre est osseuse
Ariel en est l’absent

Pourquoi sous l’arbre
Cacher la fraicheur du marbre
Je suis la vie née du tombeau

Les statues deviennent aveugles
Les fleurs ne font pas croire au mal
Qui les écrase
Les cailloux sont mous
Sous l’écume

Un enfant croit encore
Que cet homme couleur de terre
Est un homme

Nous sommes des chercheurs d’idéal

Acceptons notre fortune
Si elle nous est commune
Notre lutte est quotidienne

Dans notre boue de timides fleurs poussent
Où l’azur ?

Feu

Notre univers se meut, pur, un, illimité.
Pour Héraclite d’Ephèse, le feu est son principe. Toute chose vient du feu et s’y termine. D’autres avaient pris la terre, l’eau ou l’air.
Tout passe, rien ne demeure.
Même les cadavres bougent.
Le même est et n’est pas.
Les mouvements contraires sont conduits par le logos, langage et logique, substance de tout, nécessité divine, éther; semence et mesure; feu.
Pour Héraclite, le philosophe obscur, les dieux sont partout et d’abord dans sa cuisine.
Les choses les plus infimes ont quelque chose de naturel et de beau.
L’unité vient de l’amour, la multiplicité de la haine. Amour et haine sont nécessaires dans notre monde et l’univers. L’amour doit l’emporter, ne serait-ce qu’un peu, sinon la victoire de la haine signifie désintégration.
Notre monde est mortel.
Le monde s’embrase, puis se glace. Tout est périodique. Le monde s’allume en mesure, puis s’éteint en mesure.
L’harmonie est conflit des contraires.
L’allumage, l’embrasement sont premiers. Ils donnent le ton comme en musique.
Le monde n’est pas engendré par le temps, mais par la pensée, la pensée objective à laquelle certains aspirent, miroir du logos.
Le ciel est feu, le soleil est son flambeau intelligent.
Le monde humain est sensation et raison. Mais la sensation est raison et la raison s’abandonne.
La raison sensitive et sensible est commune à tous, donc divine.
Le logos est tout ce que nous voyons.
Ce qui appartient à un seul est trompeur. Il convient de respecter le sens commun, éventuellement d’en partir.
Le logos est universel, ouvert à tous.

N.B. : Ce texte est déjà un commentaire, l’Obscur est ailleurs. On aura compris qu’il y a plusieurs sortes de feu, le feu qui rallume et le feu qui consume, le feu de circonstance et le feu de principe. On aura compris également qu’Hétéroclite est un mauvais disciple car il n’est que dans la multiplicité alors qu’Héraclite est dans l’unité.