Les chiens

Le chien est le seul animal créé par l’être humain. Il l’a fait à partir d’une souche originelle, le loup. Là où le chat, animal solitaire et charmant, garde une indépendance sauvage sur le territoire qu’il a adopté, se laisse apprivoiser, mais pas domestiquer, le chien, fidèle à son esprit originel de meute, ne demande pas mieux que d’aider son maître.

Le résultat est l’amour. Là où l’adorable chat se laisse aimer, le gentil chien fidèle aime, parfois de toutes ses forces. Les chiens normaux, bien traités, donnent une haute idée de l’humanité. Celle-ci ne peut pas être si méchante puisqu’elle a créé les chiens, nos compagnons, nos amis. Parmi les espèces animales, seul l’homme était capable d’un tel exploit, il y a plus de dix mille ans. A lui d’en rester digne.

Travail, famille, humanité

Le pétainisme a définitivement défiguré la devise défendable : « Travail, famille, patrie ». Défendable à certaines conditions : le travail doit être libérateur, expression de la maîtrise de soi et de la nature, et non pas abrutissant, aliénant, fondement de l’exploitation sociale ; la famille doit être le haut lieu de l’affectivité humaine et non pas une prison, éventuellement un enfer ; chacun a droit à sa patrie, petite ou grande, terre de ses ancêtres ou patrie d’adoption. Les dangers sont la xénophobie, le racisme. Il est bon d’être patriote, dangereux d’être nationaliste, voire criminel. Il ne faut surtout pas oublier qu’une instance est supérieure à toutes les patries, l’Humanité. Seule l’humanité est en elle même porteuse d’universel.

Libertariens

Les libertariens sont le contraire de libertaires. Dogmatiques de l’extrême-droite américaine, ils poussent quasiment à l’absurde la logique de l’économie politique classique : la liberté ne provient que de la confrontation des libres individus. Le minimum d’Etat est suffisant pour assurer les irréductibles fonctions de police. L’ordre moral, intériorisé par les citoyens, est indispensable.
Cette pensée particulièrement systématique a l’intérêt de montrer les limites d’un système. Elles sont jusqu’au-boutistes d’une liberté confondue avec la bonne-volonté. Dès qu’on se rapproche du réel et de ses contradictions, il convient de mettre de l’eau dans son vin. Les libertariens n’ont jamais rencontré la forte pensée de Lamennais : « Entre le fort et le faible, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ».
L’intéressante réflexion des libertariens est plate. Elle ignore nos tragédies historiques, nos conflits de logiques et de légitimités. Beaucoup de philosophies et de théories partagent cette caractéristique essentielle. N’y-aurait-il de pensée véritable que de l’Histoire ?

Paix

La paix est une guerre qui ne dit pas son nom, une guerre blanche mille fois préférable à la guerre chaude que certains appellent de leurs voeux. Le couple est une guerre qui dit souvent son nom, un choc inexpiable de subconscients qui ne s’avouent pas comme tels. On n’épouse pas un subconscient et pourtant ! La vie est un combat. Les victimes de ces multiples conflits sont souvent invisibles.
La vie dévore la vie, normalement la vie est la plus forte. Les conséquences de cette observation sont parfois inattendues. Ainsi entre les lions que j’admire et les zèbres leur proie, c’est les zèbres qui sont forts parce qu’ils n’ont pas besoin des lions alors que les lions ont besoin d’eux.
Rien ne se prouve jusqu’au bout. Si l’on veut être pessimiste jusqu’au bout, on peut adopter une logique à la Hobbes. L’être humain est artificiel. Son intelligence lui enseigne que les forts n’ont aucun intérêt à s’entredétruire. Ils se forcent à l’hypocrisie, font semblant d’être honnêtes, assurent ainsi la paix civile, se reconnaissent aussi bien des droits que des devoirs.

Jeunesse

Il y a une dizaine d’années une dame traita notre griffon vendéen de petit chien. Je me suis aperçu à ce moment là que je trouvais notre chien grand et Régine toujours jeune. Aujourd’hui encore je la trouve jeune. Cherchez l’erreur. Et s’il n’y avait pas d’erreur ? Le matérialiste le plus endurci se doit d’être idéaliste par moments, pour vivre simplement.
J’ai beaucoup utilisé « le principe espoir » cher au marxiste humaniste qu’était Ernst Bloch. J’ai espéré que l’Union Soviétique s’amenderait de l’intérieur pour le meilleur. Je sous-estimais la logique des systèmes chère à l’un de mes maîtres, Montesquieu. Le despotisme ne s’amende pas, il s’écroule.
A vingt ans je me suis gavé d’espoir. Pour le meilleur et pour le pire, j’ai pratiqué le culte de l’idée à condition qu’elle soit marquée au coin du Bon Sens, fondement nécessaire, malheureusement insuffisant.
La vie est un puzzle si compliqué que non seulement il lui manque toujours au moins une pièce, mais qu’il y en a au moins une en trop. Tout ce que je dis est de l’ordre de la banalité. Je n’ai pas d’autre ambition.
Chaque jour je me lève avec l’idée que je vais commettre dans la journée au moins une erreur. Je suis moi-même atteint, à coup de réussites, mais aussi d’échecs, en dépit des apparences, d’une perpétuelle jeunesse. A chacun son erreur quotidienne !

Il ne faut juger de rien

L’une des premières choses que j’ai dites à la petite jeune fille qu’était alors Régine fut : « Il ne faut pas juger ». Bien entendu, je n’ai pas tenu. Le jugement vous tombe dessus par derrière.
Avec le temps il est cuit et recuit. J’ai la haine. Par exemple je suis sûr qu’un économiste de ma connaissance traîne une odeur de merde et ne parle que la bouche pleine. Rien n’est moins évident. Un perpétuel apprenti psychanalyste se caractérise surtout par le fait qu’il n’écoute pas ce qu’on lui dit. Là il y a du vrai.
Que faire devant la nécessité de juger pour agir ? Il me semble qu’il n’est pas mauvais de juger le moins possible et de la façon la plus positive possible. Je ne suis pas sûr qu’il y ait à proprement parler une bonne solution.
Sans trop me le dire je cherchais un alter ego ou une alter « ega », c’est à dire l’identité. Je suis en train d’y renoncer. Ce que j’ai rencontré avec Régine, c’est la complémentarité des contraires. Elle et moi sommes le contraire l’un de l’autre. Elle est concrète, je suis abstrait ; elle est active, je suis passif ; elle est rapide, je suis lent ; elle a peu de mémoire, j’ai misé sur elle… Il y a un miracle de l’amour conjugal qui fait que le moitié des couples tiennent sur Paris.
Ma faculté de juger est en lambeaux. Ce qu’il en reste m’est nécessaire au risque de l’erreur. Pourtant l’erreur me fait horreur. Nos vies sont des films d’horreur, le sachant ne le sachant pas, sous les dehors de la comédie quotidienne. Ne désespère jamais.

Biographie

En 1955, 1961, 1969, 1998, aujourd’hui, j’ai l’impression d’avoir toujours été moi-même. Qui est ce moi-même ?
En 1955, j’adhérais à la S.F.I.O. pour être le plus à gauche possible sans être gauchiste, sans être sectaire. J’avais déclaré à quelques copains que je voulais faire de la sociologie historique, nom moderne pour la philosophie de l’histoire. La continuité l’emporte. Elle était mon voeu. Ceci dit, j’ai beaucoup changé. Je n’ai pas envie d’en parler. Ce serait selon moi indiscret. La multiplicité et la diversité exigent l’amour pour ne pas être destructeurs. La liberté doit être le contraire de la licence. Elle doit être amour de l’humanité. Elle doit être vertu, vertu civique. Mes fantômes m’accompagnent, gentiment le plus souvent. Ils ne me tirent pas vers l’action qui est pourtant primordiale pour moi au niveau des principes. Le plus souvent je paresse tel un chat. J’en ai honte parfois. Words, words, words? Des mots, des mots, des mots ? Non. Il y a bel et bien là une ligne de vie.

1965

En 1965 le fin stratège qu’était François Mitterrand publiait « Le coup d’état permanent », livre qui condamnait la politique du général de Gaulle. En 1981 il essayait d’endosser les habits du général.
En 1965, commentateur débutant, je me ralliais aux institutions de la V°République ainsi qu’à la politique de défense du général. En 1981 je votais Mitterrand.
Ce sont les politiques qui ont raison parce que c’est eux qui font l’Histoire, du moins les apparences de celle-ci.
Inutile de dire que je ne suis pas un leader.

Syncrétisme

Ton tableau de bord t’annonce des tempêtes. Tu tangues, mon pauvre ami. Rock and roll. Joue les capitaines courageux quel que soit ton sexe.
Tu crois ne pas pouvoir douter de tout. Comme disait ma mère : « Papa, peut-être, maman, c’est sûr ». Tu ne peux pas douter de tout tout le temps. Marx doutait scientifiquement.
Ta vie est catastrophique ? Tu ne seras pas consolé à l’idée que le cosmos est né d’une catastrophe ou que tu es un univers à toi seul, unique en son genre ? Le plus souvent ton bonheur et ton malheur ne dépendent que de toi.
La pire des ruptures oppose l’homme à la femme. L’ami Hétéro-Clite, féru de contradictions, refuse les oppositions non nécessaires tout en acceptant la division du travail à condition qu’elle évolue.
Chacun a droit à son style. Le mien doit tout à ma paresse. Dans bien des cas il faut être intelligent pour être paresseux. Sinon, tu vas droit vers la pauvreté. Cependant la grande majorité des pauvres n’ont pas choisi de l’être. Méfie toi des logiques, certaines sont des engrenages. Respecte tes légitimités même si elles sont contestables. Conteste les s’il le faut, quand il le faut.
Dors sur tes deux oreilles. Rêve. Réveille toi. Méfie toi de ton subconscient. C’est aussi un égout. Mais, dans tes cauchemars aussi, ton imagination est à l’oeuvre. Engage toi en faveur de la diversité et de la multiplicité.
Marx était peut-être misanthrope comme beaucoup de philanthropes. Il aimait ses enfants, respectait sa femme même s’il l’a trompée, avait un merveilleux ami dans la personne d’Engels. Tous deux étaient des bourgeois. Engels était même chef d’entreprise. Marx n’a pas tout dit. Engage toi en faveur de la diversité et de la multiplicité.

Unisexe

L’homme, l’humain dispose d’un seul sexe divisé en deux. La vogue récente du football féminin illustre, une fois de plus, les capacités du sexe qu’on a osé appeler faible. Il n’y a rien que les femmes ne puissent faire. Par contre les hommes ne peuvent pas enfanter.

La division sexuelle, accompagnée d’un dimorphisme à bien des égards séduisant, n’empêche pas les femmes d’être des hommes comme les autres. Leur belle fécondité ne doit pas rendre envieux les hommes de sexe masculin. Ils sont nécessaires au stade initial et ensuite peuvent se rendre utiles. Leur intensité musculaire ne doit leur donner aucun droit particulier. Regardons les résultats récents des marathons, la plus exigeante des épreuves athlétiques : les meilleures femmes ne sont pas loin des premiers.

Depuis la sortie du paléolithique la division sexuelle du travail a redoublé la division biologique, reléguant les femmes dans leurs fonctions domestiques. La femme est devenue, selon Engels, « la prolétaire de l’homme ». Les femmes ont remarquablement résisté. De toutes façons ces temps sont finis.

Montesquieu a beaucoup insisté sur ce qu’il appelait la faiblesse naturelle des femmes, en fait faiblesse devant la force et la violence dont le viol est l’horrible symbole. Mais il a suggéré que donner l’égalité aux femmes, c’est déjà leur donner la supériorité.

Tous les hommes ne viennent pas de Mars, toutes les femmes ne sont pas des Vénus. Peu d’hommes sont purement des mâles, peu de femmes sont des femmes-femmes. Le patrimoine génétique des uns et des autres emprunte aux deux sexes officiels de façon différentielle.

Au XVII° siècle certains en France appelaient « le deuxième sexe » le Sexe. Pas le beau sexe, le Sexe. Certes les hommes de sexe féminin, c’est à dire les femmes sont très séduisantes. Je ne citerai qu’en passant, de mon point de vue hétérosexuel, leurs seins et leurs fesses. Mais il faut toujours revenir aux yeux, au regard. On ne fait pas l’amour de sexe à sexe, mais d’être à être.
Tous les jeux sexuels sont possibles, sauf ceux qui dégradent, créent des mutilations irréversibles. L’homosexualité est une invention strictement humaine à respecter en tant que telle.

Quels que soient les choix personnels, au dessus des péripéties, il est bon que l’amour soit à la fois le moyen et le but. Je suis pour ma part un fan de l’amour conjugal. L’amitié est la base et l’amour le sommet. L’amitié est fondée sur la sincérité, l’amour doit l’être aussi.

L’éducation des filles s’est extraordinairement améliorée. Actuellement les femmes apparaissent meilleures dans le langage et les hommes en mathématiques. N’oublions jamais que l’Histoire modifie profondément les corps et les esprits. Il est peu probable que le génie reste quasiment l’apanage des hommes.