La misanthropie
A l’age de dix-huit ans, après la lecture de la pièce de Molière, je me suis déclaré misanthrope. Sans le savoir, je suivais l’exemple de Rousseau qui idéalisait Alceste au point d’en faire un autre lui-même.
Cependant j’ai suivi une autre voie. Ma misanthropie est une philanthropie qui se sait, dans une large mesure, vouée à l’échec.
1790
Lors de la magnifique fête de la Fédération, le 14 juillet 1790, le roi prêta serment sur la Constitution. Si le compromis politique, proposé par la Fayette, « le héros des deux mondes », l’avait emporté, la France aurait évité la Terreur, « l’ogre corse », une série de convulsions qui ne s’est terminée qu’en 1875, avec la Troisième République qui établissait un régime modéré, proche de l’esprit de 1790.
Dès 1790, des esprits aussi différents que l’anglo-irlandais Burke ou le jeune Robespierre avaient prévu que la poursuite de la Révolution entrainerait l’arrivée au pouvoir d’un général victorieux. Certes la constitution de l’époque reposait sur un scrutin censitaire favorable aux plus aisés, mais un long combat politique aurait suffi pour accéder au suffrage universel.
Alors ? Pas de République ? La monarchie britannique a souvent été plus républicaine que les républiques proclamées.
La politique est l’art du possible. Pour le meilleur ? Généralement pour le moins pire.
Pour Clemenceau la Révolution était un « bloc ». Certes, mais il est permis de nuancer, sinon on tombe dans un fatalisme historiciste.
Pour moi, qui ne suis pas à une contradiction près, je continue à soutenir Robespierre en 1792 et à voter la mort d’un roi que j’aime bien. Je suis tombé dans le même piège que Jean Renoir chargé par une souscription publique de réaliser un film pro-révolutionnaire et qui est tombé amoureux de Louis XVI et de Marie-Antoinette.
Pour ma défense, je dirai que le mouvement d’une révolution est impétueux, que chaque jour compte, d’où les fameuses « journées révolutionnaires ». 1792 était à des années lumière de 1789. S’adapter à l’une n’était pas la même chose que s’adapter à l’autre.
Le progrès
Si nous considérons nos lointains ancêtres d’il y a un million d’années, ils ressemblaient beaucoup plus à nos cousins les singes qu’à nous autres.
Il y a deux cent mille ans l’homo sapiens sapiens monopolisait ce qui était devenu à coup sûr l’humanité, mis à part l’homo sapiens neerdanthalis, sympathique homme de Néerdanthal, très humain, mais qui finira bien plus tard par disparaître, victime de ses traits archaïques.
Le progrès des techniques humaines de manipulation de la nature et de l’information a connu des révolutions gigantesques. Comme me le disait, voici plus de vingt ans notre ami André Levasseur, la révolution du numérique est comparable à celle de Gutenberg, l’imprimerie.
A notre époque l’émancipation de la femme est fondamentale et décisive pour l’avenir.
Les progrès de l’humanité ont été nombreux et révolutionnaires.
il n’y a pas de nature humaine. Il n’y a qu’une condition humaine. Mais quelle est l’essence de cette condition éminemment historique ? A ce niveau, essentiellement éthique, y-a-t-il progrès? C’est possible, ce n’est pas sûr.
La mode
Sois à la mode.
Sois à la mode naturellement, sans artifice, sans excès.
Les modes successives,dans tous les domaines, du vêtement à la philosophie, illustrent les phases historiques. Elles les scandent, les rendent visibles, palpables.
J’ai vécu les modes de l’existentialisme dans les années cinquante, du structuralisme dans les années soixante, des nouveaux philosophes dans les années soixante-dix. Depuis je ne sens plus grand chose. La vogue actuelle des « philosophes de cour », démagogiques, médiatiques, ne me parait pas du même niveau.
N.B : Les partisans structuralistes de Parménide et des Eléates, adeptes du concept immobile, de l’Etre sans mouvement, ont même séduit certains marxistes, tel Althusser, qui auraient dû se souvenir d’Héraclite, prophète insolite du mouvement. Je les ai appelés à l’époque stucturalo-marxistes.
Régine et moi sommes toujours à la mode de façon très modeste. C’est peut-être pour cette raison que personne ne s’en aperçoit.
Il faut cependant préciser que, peut-être par une sorte de classicisme, tout en étant branchés, nous n’avons pas été existentialistes en dépit de Camus, Sartre, Simone de Beauvoir que nous aimions, encore moins structuralistes malgré Lévi-Strauss que nous estimions, presque pas nouveaux philosophes en dépit de leur juste critique du communisme à laquelle nous avions déjà procédé.
L’esprit et l’humour
L’esprit et l’humour sont, pour Guy Dhoquois, les plus belles qualités humaines, les plus sociables, les plus intellectuelles, en rapport avec le subconscient, l’esprit qui se moque de l’autre, mettant les rieurs de son côté, l’humour qui se moque de lui-même, pour Dhoquois plus séducteur encore.
« Malheureusement je suis complétement dépourvu de ces éminentes qualités. Je m’en mords les doigts tous les jours. J’aurais tellement aimé faire rire et pas à mes dépens. Curieusement j’ai parfois constaté que des personnes, que je juge pour ma part dénuées d’humour, prétendent en avoir. J’essaie de sauver les meubles par une ironie pas toujours de bon goût, l’ironie qui consiste, selon Swift, à dire le contraire de ce qu’on pense. Nous sommes loin de l’ironie socratique. Polysémie, quand tu nous tiens ! »
Le droit
Quand il s’agit d’instruction civique dans nos écoles, plutôt que de se répandre en discours fumeux, plus ou moins méprisés par les élèves faute de sanction, pourquoi ne pas utiliser un fonds assuré, rassurant, de portée universelle, les principes fondamentaux du droit ?
il se produit un phénomène curieux : Le droit, certes normatif par essence, qui s’introduit dans notre vie la plus quotidienne, est méprisé par les autres disciplines humaines. Par exemple beaucoup d’historiens feraient bien de ne pas ignorer le droit et son histoire.
Autrefois coordinateur d’un cursus interdisciplinaire de « sciences de la société », dont le droit, à l’université Paris VII, j’ai vécu cette marginalisation dépourvue d’argumentation, peut-être due à un refus instinctif de la loi, anarchiste de droite, chez des gens avides de statut.
Le bonheur
Sois heureux.
Sois heureux sans vergogne, sans fausse honte, sans mauvaise conscience.
Ne te laisse pas gangrener par la mémoire qui se laisse abuser par les mauvais souvenirs.
Ne sacrifie pas le présent à l’avenir, ni l’avenir au présent. On n’est jamais heureux qu’au présent.
Sois heureux avec les autres ou du moins quelques autres. Ils ont bien des défauts, tout comme toi.
Le bonheur est un éternel présent. Platon ne proposait-il pas que l’instant soit l’image mobile de l’éternité ?
Le bonheur est un art. Il est un don qui se cultive.
Il s’agit d’une perfection imparfaite, à échelle toujours humaine.
Même s’il vient de l’extérieur, il t’appartient en propre.
Il y a un grand mérite à être heureux.