PFR 5

Être naturel ainsi qu’un arbre humain
Mes désirs sont un profond feuillage
Je ressens beaucoup dans la nuit et l’orage
Sentir l’air le feu et le sang tourbillonner
Dans mon coeur vif et vermeil
D’où coulent les flammes et les gouttelettes
Mon âme est bien assise

Vous êtes mort un soir à l’heure où le jour cesse
Envahissante la paresse ne vous a pas vaincu
Rien ne vous prédisait la torpeur de la tombe
Dans le sommeil, moi, je tombe et je peine

PFR 4

Tes persiennes souvent comme des paupières
Tu fleuris les vieilles pierres
La jeune lumière est heureuse
Celle qui sur la route où je vais
Marche les seins hauts
Accomplit un rite invisible

Nous tisonnons taciturnes le front baissé
La mourante lueur du feu
Son rouge éclat s’éteint
Le crépuscule mêle les âmes tendres
Les paupières d’ombre ont la douceur des cendres

La mémoire de l’humain est dure
Sa vie est brève Son art est vain
La nature est une ouvrière que rien ne lasse
Elle lie la ronce au lierre
Elle est aussi une tige molle

La fille dépose la jarre sur le rocher moussu
Elle lui présente l’eau qui coule sous toutes ses formes
Bleue toujours
L’eau qui bouillonne dépasse la gamme

Je sors gaiement des sentiers battus
Je trouve des sépulcres vides
Je déchiffre l’épitaphe d’une jeune morte
Je l’enlace nue et fraîche
Je vais avec elle au tombeau

PFR 3

L’âme s’envole d’un vase
Le vase est cassé
L’âme regrette ses cheveux d’argent
Tes lèvres s’ouvrent pour la parole ailée
N’es-tu donc qu’un presse-papier ?

Le granit gris domine une eau calme
Le dadais se perd loin des mornes berges
La nef tombe à pic
La rive n’a cesse de nous montrer son phare
Un vol d’esprits éclaircit l’air
La lymphe n’est pas dans les limbes
Le regard des sphinges est mort
Feus mes souvenirs sont bleus
Leurs pleurs sont graves

PFR 2

Je me baigne seul dans la rivière dans la forêt
J’ai fait peur aux naïades sous l’eau obscure
J’ai dans les cheveux des iris et des giroflées
Les iris sont noirs et les giroflées jaunes
Je penche la tête je suis nu

Je suis couché J’ai su faire fleurir le baiser
Les feuilles des lauriers par dessous sont noires
Où sont tes miroirs et tes colliers ?
Mes livres et mes armes ?
Désormais je suis une ombre impalpable

J’ouvre des yeux tristes et tendres
Mon silence est mon secret
La houle est une onde
Nos vagues expirent sur le monde

Je rêve je rêve je suis déjà à Delphes
Parle avec les mots de la mélancolie
J’aime la ferveur des adieux
Sa fragilité vibre à en mourir
Sa chair est chaque jour plus fière de fleurir
Le rêve meurt à l’aurore

PFR 1

Je fais frémir les herbes
Qui ont cessé d’être vertes
Le ruisseau qui renait
Je me sens bien dans cette forêt
Ceux que j’aime comprennent ce que je fais
A la source de l’amour
Je bois la vie

Je suis couché sur le sable blond
Que le soleil fait d’or
La mer est harmonie
Le ciel est transparence
Le sable est fugitif
Où sont les pins altiers ?

Heures douces heures monotones
Heures pâlies par les voiles de brume
Sourires sans amertume
Va nos âmes sont soeurs
Nos coeurs sont frères
Heures grises Nous sommes aveugles

Le pont bondissant saute le fleuve
Sur la rive des saules et des peupliers
La nouvelle arche est grise et bleue
Toute route est lointaine

PCA 71 DF *

Nous cheminons loin l’un de l’autre sans nous croiser
Ainsi les étoiles du matin et du soir
La nuit est heureuse aujourd’hui
Une seule bougie nous réunit
La jeunesse passe trop vite
Nos têtes blanchissent
Nos évoquons les amis qui sont morts
Nous brûlons de chagrin
Qui aurait crû que je ne pourrai te serrer la main qu’aujourd’hui ?
Tu étais seul Tes filles et tes fils égayent ta maison ….
Avant que les questions ne soient épuisées
Ils m’apportent du vin nouveau
Sous la pluie dans la nuit
Ils cueillent des légumes tendres
Pour mon bol de riz saupoudré de mil jaune
Nous avons vidé bien des coupes pour fêter l’événement
Nos esprits ne se sont pas voilés ….
Déjà les montagnes se dressent entre nous
L’avenir s’estompera dans la brume et les nuages gris *

*La référence de base est : Ferdinand Stoces, Neige sur la montagne du lotus, Picquier poche, 2006
La série recommence après la fin ( provisoire ? )de PCA

PCA 70 DF

Le sang des plus grands guerriers
A coulé à flots dans la boue glacée des marécages
Dans l’immense plaine sous le vaste ciel
Le vacarme de la bataille a cessé
Les jeunes volontaires sont morts
Les barbares essuient le sang de leurs armes
Saouls ils hurlent leurs chants et vocifèrent
Le peuple accablé détourne les yeux rouges de larmes
Il prie jour et nuit pour le retour de l’armée

Les esprits des guerriers qui viennent de mourir
Gémissent sur le champ de bataille
Vieux solitaire je regarde sombrement
La masse de nuages gris qui alourdit le ciel
Une brusque bourrasque chasse la neige
Dans une danse affolée
Il n’y a plus de vin
J’imagine la braise ardente dans la cheminée éteinte
Il n’y a plus de nouvelles
Accablé sans espoir
Je marmonne seul dans le vide

PCA 69 DF

Les herbes meurent à la fin de l’année
Le vent furieux déchire les cimes
Le ciel se charge de nuages sombres
Je me mets en route à pied vers minuit
Le gel est mordant
Ma ceinture se dénoue
Mes doigts sont trop engourdis
L’aube point à peine
Les bannières guerrières remplissent l’air glacial….
La soie portée par les dames du harem impérial
Est tissée par de pauvres femmes
Dont les maris ont été fouettés à coups de cravache
Pour leur extorquer l’impôt dû à la cour ….
Dans la salle d’apparat dansent de véritables déesses….
Derrière les portes laquées de pourpre
Les restes de vin aigrissent
Les reliefs de nourriture pourrissent
Devant ces portes gisent les os
De ceux qui meurent de froid et de faim
Un rien sépare l’abondance de la misère
Accablé j’ai du mal à poursuivre

Ce soir une femme contemple toute seule la lune
Tous les deux nous pensons aux enfants
Trop petits pour comprendre
Pourquoi je reste loin
Une brume parfumée mouille ses beaux cheveux
Les rayons pâles glacent ses bras de jade blanc
Quand pourrons-nous regarder par la même fenêtre ?
Quand sécheront nos larmes ?

PCA 68 DF

…. J’ai été candidat aux examens impériaux
…. Tous mes espoirs se sont effondrés
Je suis pauvre et seul
J’ai composé des vers
Aucun ne m’a sorti de l’obscurité
Depuis dix ans je chevauche la même mule
Je me nourris comme un vagabond
Je tape timidement à la porte des richards
Je respire la poussière de leurs chevaux au galop
Lie de vin et reliefs de mets froids
J’avale fierté et larmes
Un édit impérial a ravivé l’espoir d’être enfin reconnu
J’étais comme un oiseau jeté du ciel
Ailes repliées et liées
Une carpe jetée sur un rocher
Sans pouvoir nager
Je ne mérite guère votre générosité
J’apprécie votre bonté sincère

Si tu tends un arc prends le plus grand
Si tu choisis une flèche prends la plus longue
Si tu veux abattre un ennemi vise sa monture
Si tu veux vaincre des rebelles capture leur chef
Il y a des règles et des limites dans la tuerie
Chaque pays a des frontières
Pourquoi s’évertuer à faire couler le sang ?

PCA 67 DF

Pur-sang du désert flancs maigres et os saillants
Oreilles dressées comme du bambou taillé
Ses sabots légers volent avec le vent
Nulle distance ne le décourage
A lui je me confie à la vie à la mort
Le même rêve nous unit le coursier et moi
D’un seul bond franchir la distance entre la terre et la lune

La solitude printanière m’a soufflé l’idée de vous rendre visite sur les monts abrupts
La chute des arbres abattus accentue le silence des cimes taciturnes
Je traverse un ruisseau enserré dans un étau de glace
Au soleil couchant je rejoins la haie près des falaises
La nuit je vois briller l’or et l’argent Ils ne m’inspirent aucune envie
Le jour je fraternise avec biches et cerfs qui échappent aux dangers
Nous flânons sur les pentes et ne tardons pas à nous égarer insouciants
Comme des bateaux vides au gré des vagues

Le maître compose des vers splendides comme l’antique
Ensemble nous parcourons la montagne
Je l’aime comme un frère
Ivres nous dormons sous la même couverture
Nous nous baladons la main dans la main
Nous rendons visite à un sage
La joie nous inonde quand la porte s’ouvre
Le silence du soir est rythmé par un battoir à linge
Les nuages menacent Nous entamons un air
Un dignitaire est-il capable de préférer
La soupe aux légumes aux festins ?
Nous refusons rang et pouvoir
Laissons pensers et sentiments
Vagabonder sur les vastes océans !