PCA 66 Du Fu

Au delà de la forêt agitée par la brise
Se couche la lune comme une mince faucille
La rosée du soir est fraîche
Nous accordons nos luths
Le jeune ruisseau se glisse dans l’ombre entre les rives fleuries
Sous l’arc des étoiles en ce beau printemps
Le pinceau danse seul sur le papier
Il ne faut pas s’étonner que les flambeaux brûlent vite
Nos épées étincellent
Nos coupes se vident et se remplissent
La dernière rime : dans les cordes résonne une âme
Maintenant la promenade en barque !

Que dire de la montagne des montagnes
Toujours verte ?
Elle a amassé des beautés divines
L’ombre et la lumière y séparent aube et crépuscule
De ses flancs naissent des nappes de nuages
Qui cachent le retour des oiseaux migrateurs
Je souhaiterais accéder au plus haut sommet
Pour y voir la houle interminable des monts alentour

PCA 65 Divers

Le long du sentier qui divague sur la pente du sud
Sur la mousse je trouve des traces de pas
Un nuage blanc paraît endormi au dessus d’un îlot de calme
Les herbes odorantes ont envahi la porte inutile
Une brève averse a ravivé le vert des pins ténébreux
Je marche le long des crêtes jusqu’à la source du ruisseau
Les fleurs résidant dans l’eau me révèlent la vérité de la vie
En face d’elle je ne sais plus quoi demander ….

Le sentier embaumé par les simples s’enfonce dans la mousse écarlate
La fenêtre dans la montagne se noie dans la verdure
J’envie ton vin parmi les fleurs
Parmi elles les papillons volent droit dans tes rêves

PCA 64 LB

Les feuilles des mûriers sont d’un vert vif
Les vers à soie se réveillent
Ma famille laboure les champs
Le moment propice aux semailles est passé
Je navigue sur le fleuve vers un avenir incertain
A l’est s’épanouit un pêcher
Ses feuilles retiennent la brume bleue
Je l’ai moi-même planté avant mon départ
Il est maintenant aussi haut qu’une tour….
Le chagrin broie mes entrailles
Je confie un morceau de soie
Auquel j’ai fait mes confidences
Au fil des ondes

Le fleuve tombe du ciel pour se ruer vers la mer
Dans l’éclat du miroir le reflet de nos cheveux blancs m’effraie ….
Goûtons à belles dents les joies que la vie nous donne ….
Les cloches les tambours les mets les plus fins ne comptent guère
Je cherche l’ivresse sans me dégriser
Les sages et les saints sont tombés dans l’oubli
Les grands buveurs sont immortels ….
Ensemble noyons la tristesse éternelle

PCA 63 LB

Un moine descend le mont
Avec son luth
Dans un étui de brocart vert
Un pincement de corde
J’entends les pins des mille vallées
Le murmure des eaux courantes
Me purifie le coeur
L’écho cristallin des cloches givrées
S’éteint puis disparait
Je ne vois pas le crépuscule voilant la verte montagne
Se confondant avec les lourds nuages de l’automne

Rude est la route
Plus que de monter à l’assaut du ciel
Rien qu’en entendre parler
Donne la chair de poule
Les pentes abruptes montent si haut
Qu’un pied les sépare du ciel
Les pins déracinés regardent
De leur cime dénudée le fond des ravins
Le grondement des torrents furieux
Rivalise avec le tonnerre des cataractes
Les eaux s’écrasent sur les rochers
Elles roulent des blocs de pierre
Le vacarme est infernal
Averti du danger
Pourquoi pèlerin viens-tu de si loin ?
La passe de l’épée est si étroite
Qu’un seul guerrier peut la défendre contre des milliers
D’un homme loyal il se transforme
En chacal ou en loup
Le matin je fuis les tigres
La nuit je crains les énormes serpents
Il vaut mieux rebrousser chemin

PCA 62 LB

La vie humaine est un rêve
Pourquoi se tourmenter ?
Je bois la journée pleine
Quand j’en viens à chanceler
Je m’offre un somme
Parfois sur le perron de l’auberge
Un oiseau me réveille Il siffle à tue-tête
Au milieu des fleurs
Je lui demande timidement :
« En quelle saison nommes-nous ? »
Il me répond d’une chanson printanière
Je suis ému J’étouffe un soupir
Je remplis mon verre
Je chante de tout mon coeur
J’attends la lune
La chanson est finie
Plus rien ne m’atteint

Tu me demandes gentiment
Ce que j’ai fait ces temps derniers
Je me suis retiré à la ville
Des arbres séculaires se dressent
Au pied des remparts
La voix triste de l’automne y résonne
Le vin ne m’égaye plus
Les chants les plus émouvants ne me touchent plus
Mes pensées vers toi
Sont comme les flots sans fin d’un fleuve

PCA 61 LB

Le matin au réveil je sens dans l’air
Quelques chose de solennel
On vient me dire qu’il a neigé
Les volets de jonc sont enroulés
J’admire la neige éclatante
Elle promettrait une bonne récolte
Elle se confond avec le marbre blanc
Les spirales bleues des fumées
Se détachent au dessus des chaumières enneigées
Les herbes givrées s’ornent des pendentifs de gel
Je me demande si les sages ivres
N’ont pas frénétiquement
Déchiré et jeté à terre
Les nuages blancs

Bel oiseau jaune quand tu visiteras le monde
Ne t’amuse pas avec les martins-pêcheurs
Quand tu te reposeras ne reste pas perché
A côté des hirondelles Certains les cherchent
Portant des torches Le palais peut prendre feu
Tu peux te prendre dans les filets
Que tendent les chasseurs aux martins-pêcheurs
Pour toi il est préférable de replier tes ailes
Quelque part dans les champs
Parmi les pensées sauvages
Tu te blottis seul
Voilà le moyen le plus sûr
D’échapper aux serres
Des éperviers et des crècerelles

PCA 60 LB

les corbeaux se perchent sur la terrasse
Le roi avec sa belle savoure du vin
Les chants alternent avec les danses
Mais le comble de joie est encore loin
Les montagnes vertes avalent le soleil
Le clepsydre compte les heures
Tous contemplent la lune de l’automne
Qui se glisse sur le fleuve
La lumière du jour s’éveille
Devrait-elle éteindre le festin ?

Les pousses d’herbe pointent timidement aux passes du nord
Au sud les branches de mûrier ploient déjà sous leur feuillage vert
Je sais que tu rêves au retour
Moi je regarde tristement vers le nord
Je ne te connais guère, brise printanière
Comment oses-tu te glisser
Derrière le rideau soyeux de mon lit ?

Le voile de givre tombe sur le perron de jade
La nuit humide pénètre la soie fine de ses bas
Elle abaisse la portière de cristal
Elle contemple à travers le store diaphane
La lune pâle de l’automne

Je bois seul assis verre après verre
Sans voir le jour se couchant
Les fleurs tombent autour de moi
Je me lève en titubant
Je suis les rayons de lune
Les oiseaux ont disparu
Les passants se font rares

PCA 59 LB

Une cruche de vin attend les copains parmi les fleurs
Et je suis seul
Levant mon verre je convie la lune
Avec mon ombre devant moi
Nous sommes trois
La lune ne sait pas boire
Mon ombre me suit en vain
Je me réjouis en brève compagnie
Je chante la lune zigzague
Je danse mon ombre me tend les bras
J’ai l’esprit clair la fête bat son plein
Chacun titube sur son chemin
Mes compagnes de la Voie lactée
Sans passion nous nous attendons

PCA 58 LB

Les somptueux carrosses soulèvent des nuages
D’une poussière si épaisse qu’elle obscurcit la route en plein jour
A l’intérieur du palais des eunuques sont tellement riches
Qu’ils se font construire des maisons touchant les nuées
L’un d’eux grand amateur de combats de coqs
Brille comme un diamant Son nez pointe vers le haut
Révélant un orgueil capable d’éteindre l’arc-en -ciel
Effrayés les passant s’écartent à coup sûr de son chemin
Il n’y a plus personne pour se laver les oreilles
Après l’offre ferme d’une charge à la cour
De nos jours qui distingue le sage du bandit ?

Si tu viens de te laver les cheveux dans l’eau parfumée
Ne mets pas ton chapeau
Si tu viens de te baigner et sens bon l’orchidée
Garde tes habits froissés à l’écart
Personne n’aime les airs trop parfaits
Un sage dissimule son éclat
Un vieillard pêche au bord de la rivière
Nous sommes comme des frères
Nous ferons ensemble le chemin

PCA 57 LB

Elle vivait à l’est
Il demeurait sur une île du fleuve
Et regardait la journée longue
La lumière de la fleur
ils ont couru l’un vers l’autre
Se faisant un doux chemin blanc
Quand la pluie et les nuages se sont séparés
Le sentier a disparu sous les herbes de l’automne
Au dessus d’elles volettent des papillons tardifs
Un éclat de soleil pénètre l’amour assombri
Comment pourrait-il en être autrement ?
Nous nous reverrons nous éteindrons la chandelle
Nous ôterons nos vêtements de soie fine

Je monte avant l’aube pour m’en délecter
J’écarte les nuages d’un revers de main
Mon âme s’envole à mi-chemin de la terre et du ciel
Le fleuve jaune serpente avec grâce entre les monts lointains
Je m’arrête près d’un rocher Je scrute l’horizon et le ciel
Je repère par hasard un petit jeune homme
Les cheveux divisés en deux toupets
A la façon des enfants d’ici
Il sourit et se moque de moi
Qui aspire tardivement à la sagesse
J’ai beaucoup gaspillé de ma jeunesse
Je perds du temps et il disparaît
Comment le retrouver dans l’espace infini ?