La fin déjà ancienne d’un monde, le mien. Dans les années cinquante et soixante du XX° siècle j’ai tenu compte de la puissance du parti communiste en France et de l’Union Soviétique, coeur du « camp socialiste » dans le Monde. J’étais favorable à l’Unité populaire, je ne voulais pas tomber dans l’anti-communisme, l’ennemi principal à l’époque me paraissait être l’impérialisme américain. Cet univers a complètement disparu et avec lui certaines attitudes politiques.
Les quatre fantastiques
Ils ne s’agit pas des héros de notre mythologie moderne, issus de l’imagination des « marvel comics », mais des fondateurs juifs de notre culture contemporaine, émancipés de leur religion, Spinoza, Marx, Freud, Einstein.
Spinoza nous a appris que le tout est un.
Marx a critiqué l’économie politique.
Freud a analysé le refoulement de la sexualité.
Einstein a fondé la relativité en physique fondamentale.
La philosophie ne dit pas le vrai, elle nous donne des armes logiques pour démêler quelques chose du vrai. Spinoza fonctionnait suivant la logique mathématique d’Euclide, le fondateur grec de la géométrie. Si on introduit l’Histoire, comme l’a fait Hegel, admirateur de Spinoza, le Tout s’éloigne.
Marx n’a pas prétendu créer une nouvelle économie politique. Il a montré que, pour que le profit capitaliste subsiste, il fallait la lutte des classes au profit de la classe dirigeante.
Freud avait peu de choses à dire sur le sexe, beaucoup sur les effets multiples de son refoulement, nécessaire pour qu’il y ait une culture. Mais cette culture s’accompagne de pathologies diverses.
Pour Einstein, lui aussi admirateur de Spinoza, tout est relatif dans le sens que tout est lié. Mais aussi dans le sens qu’il n’y a de sens que dans le relatif.
Nous n’avons dépassé aucun de ces quatre auteurs.
Nicolas
Hommage à Nicolas Raljevic, l’un de mes rares amis à suivre mon blog. Nicolas est fier de ses origines croates et il a raison. Il traduit en français des pièces croates du début du XX° siècle. Sa langue est excellente. Il devient l’un de ces passeurs privilégiés d’une culture à une autre. Fier de ses origines, il l’est aussi de son présent. Il peut l’être de sa présence.
Rêve
Ceci n’est pas un poème
Tu nages maladroit au dessus du monstre de laves Tu t’approches bêtement du magma noir et rouge Tu n’atteindras pas le centre de la terre Le magma te repousse Tu t’envoles avec ta noble maladresse Une flamme surgit d’on ne sait d’où Elle te lèche te fait mal Tu voles de plus belle c »est en haut qu’est le salut Tu fatigues Il faut respirer par paliers Tu aperçois le but l’idéal le plafond d’eau L’eau est lumineuse danse vaguement Tu connais ce mouvement Il faut monter encore Tu fermes les yeux ta tête émerge brusquement Enfin libre Tu as autour de toi l’immensité marine Ne te presse pas tu as le temps Le temps est à toi à condition de garder la tête hors de l’eau suprême superficielle Le ciel ne peut rien même s’il pleut La terre est lointaine Tu ne sais même pas où elle se situe Nage vers elle mais lentement Economise tes forces Elles sont limitées L’eau te parait infinie Par bonheur les vagues ne sont que des vaguelettes Où est le vent ? Tu ne sais pas où est la terre aux rives soit fleuries soit arides La terre est la terre Terre ! Terre ! Tu en es loin Tu ne vois rien à l’horizon Il est vaguement crénelé Est-ce bon signe ?
Poèmes d’amour
Le deuxième poème de jeunesse ( et d’amour ) que nous publions a été inspiré dans sa forme par André Breton. Son titre est « Ma femme » :
Ma femme aux renoncules amères
Aux lèvres de jaspe et de jasmin
Aux fièvres d’apothéose
Aux joues de carmin adouci par l’aube
Ma femme aux joies qui sautillent
Comme des oiseaux qui rentrent de classe
Aux lèvres closes et comme moroses
Sur des peines vespérales
Ma femme que j’adoucis ma main sur son front
En attendant qu’aux écoutilles
Montent les moussaillons
Qui lèveront les voiles qui délivrent
Vers les ciels bleus des grandes passions
Ma femme aux glaïeuls vainqueurs
Aux panthères faites comme des femmes
Qui répandent au loin un feulement chanteur
Afin que la vie répande ses semailles d’azur et d’horizon
Ma femme aux soucis détestables
Aux insouciances de paradisier
Dans la forêt des insatiables
Où traine trop désirée
La robe blanche des lilas impalpables
Ma femme au corail aux pervenches
Aux horloges toujours méthodiques
D’un temps synonyme de plaisir
Et de passion maîtresse
Ma femme aux ennuis
En caravane lente vers l’oubli
Ma femme des algues des églantiers
Aux soupirs à l’eau laissés
Comme frêles bateaux ivres
Ma femme marronnier
Ma femme nuage
Ma femme rayon lunaire
Et délicat sur une prunelle
Verte
Ma femme parapluie
Ma femme canal
Ma femme nénuphar
Ma femme rose
Ma femme aux pensées généreuses
Qui l’élargissent comme une plaine
A l’horizon des malheureux
Qui marchent douleur et joie vers elle
Ma femme je salue en toi
Le pilote du bateau
Qui sait de sa tête légère
Prendre un courant vert et calme
Et le suivre vers les étoiles levantes
Douceur et force te sont dues
Ma femme mon amie ma soeur
Poèmes de jeunesse
Guy et Régine ont flirté la première fois le 9/4/1960 dans un cinéma des Ternes devant « Citizen Kane » d’Orlon Welles. Ils n’en virent pas grand-chose.
Ils se sont mariés le 12/7/1961.
Entretemps Guy a crû devenir poète. Nous publions pour la première fois deux poésies symboliques de cette période.
La première est un acrostiche. C’est du reste son titre :
Ravissante Régine au tendre teint de miel
Eloigne les ombres de tes yeux pailletés
Gamine malicieuse à la bouche enchantée
Irritable follet à l’humeur vagabonde
Ne t’inquiète pas de ma folie funèbre
Aime-moi ma reine par infinie douceur
Nuances
Nous n’échappons pas aux idées générales qui suscitent incompréhension, voire pire. Elles sont cependant nécessaires, inéluctables.
Nécessaires, mais pas suffisantes. Il est salutaire de remonter vers le concret comme le disait Lénine. Mais, contrairement à lui, en temps de paix, nous entrons dans le royaume de la nuance.
Mais, même pour nuancer, il est bon de disposer d’une idée, d’une ligne directrice, respectueuse des détails dans lesquels se cache le diable.
Nous n’oublierons pas au passage les dualités fondamentales, dont celle décisive entre ordre et mouvement.
Pour la bêtise, la seule qualité humaine qui donne un sentiment d’infini, selon Renan et d’autres, on peut dire que, si nous sommes tous cons, il y a quand même des champions en la matière alors que certains d’entre nous sont quasiment intelligents.
Pour la haine il est meilleur de la conserver pour la diriger, autant que possible, contre la vraie méchanceté, celle qui appartient à un système social. Le pire ingrédient en est le dogmatisme.
Pour l’hypocrisie, nécessaire pour les acteurs que nous sommes tous, au sens aussi que nous sommes les acteurs de nos vies, il importe de la mesurer, de la transformer en politesse. Certains d’entre nous, faute de mesure, deviennent des sournois.
Nous sommes des hypocrites
Nous sommes des acteurs aux rôles variés. Nous en changeons suivant les circonstances. Nous bougeons beaucoup. Mais nous ne savons pas vraiment ce que nous faisons. Le point fondamental est que nous ne nous connaissons pas. Ou que nous nous connaissons mal.
Nous sommes par rapport à nous mêmes comme un nageur dans la mer. Il voit le ciel, les flots, il devine l’eau qui enserre son corps. Il ne sait rien d’autre. Il peut avoir du plaisir, des craintes. Il ne sait rien d’autre alors qu’il est au milieu d’une immensité.
Avec nos ignorances nous jouons un rôle. Nous ne pouvons pas faire autrement. Heureusement le monde social nous informe, nous instruit, nous oblige.
Même la personne la plus sincère ne peut dominer ces problèmes. Elle ne ment pas, elle ne connait pas la vérité. Politesse et honnêteté sont des garde-fous indispensables, des réducteurs d’incertitudes.
L’hypocrite en grec ancien est un acteur. Nous sommes des acteurs. Nous sommes dans un jeu de rôles comme l’a montré une fois de plus Pirandello. Certains choisissent des rôles de méchants. Parmi les pires les menteurs, les sournois, les vrais hypocrites.
Je hais, donc je suis
J’ai la haine. La haine fondamentale est contre tout ce qui a fait du mal à ma mère, abandonnée à la naissance, fille de l’assistance publique, restée marginale, cependant mariée.
J’en veux à ma mémoire de privilégier la haine. Il faut faire l’effort de se souvenir des bons moments qui ont été légion.
Pour moi personnellement il n’y a eu que quelques moments de haine. Contre une brave mère de famille, venue se plaindre d’un exercice que tous les élèves avaient réalisé, mémoriser une carte de géographie. J’avais vingt ans.
Contre deux collègues qui me doivent leur carrière et qui se sont signalé par une ingratitude crasse. Normal me direz-vous, d’autant plus que l’un est dans les vaps et l’autre shizo.
Contre les économistes qui refusent la pluridisciplinarité. Ils n’ont pas tort puisqu’on les laisse faire…
Le problème est que j’aime la haine. Elle me tient compagnie. Je préfère certes l’amour trop rare, trop diffus, souvent déçu…
De la haine je ne fais pas un problème. Il est inutile de se venger. C’est une perte de temps. Surtout, si j’ai raison, la vengeance viendra toute seule, elle n’a pas besoin de moi.
En fait je dispose de deux sortes de haine, l’une est brûlante, un feu, l’autre est froide comme l’acier… L’une pétille, disparait, l’autre dure, dure… Mais j’en suis content…
La haine de feu concerne mes petits cas personnels. La haine d’acier s’oppose aux vastes systèmes d’exploitation sociale qui ont fait l’Histoire. Toutes ces haines naissent de l’injustice.
Rajeunissement
Le vieillissement peut être un rajeunissement.
Pas ici d’exercices physiques à toute force, de régimes spéciaux, de liftings, de maquillages divers. Le corps se délite, se desquame, fait de plus en plus mal…
Tout devient plus difficile. Une solution : de plus en plus dormir. Le sommeil est le meilleur des médicaments anti-vieillissement…
Mais paradoxalement, dans cette course à la mort, une jeunesse inouïe subsiste. Il ne s’agit pas du tout de retomber en enfance. Mais, sans qu’on le fasse exprès, une nouvelle vivacité d’esprit apparait.
Enfin débarrassé de certains désirs, de certaines ambitions, de nombre d’illusions, on garde sur le monde un point de vue vif, dénué de préjugés, cynique par moments. La longue expérience de la vie, loin d’être un handicap, alimente cette nouvelle lucidité. Etre lucide, c’est tout ce qu’on a à faire et on le fait aisément.
Un risque : ne plus comprendre certains choix, certains désirs de la jeunesse. Mais je n’ai jamais autant apprécié la beauté féminine que maintenant que je n’y ai plus accès que par le regard.
Chérie, je me sens rajeunir.